Peut-il y avoir quelque chose de plus éloigné de l'humour qu'un camp de concentration nazi? C'est pourtant ce à quoi s'est attaquée Lise Dion en voulant rendre hommage à sa mère, rescapée du camp de Buchenwald pendant la Seconde Guerre mondiale, dans un récit publié chez Libre Expression, Le secret du coffre bleu.

On ne connaît jamais vraiment ses parents. Dans le cas de l'humoriste Lise Dion, c'est encore plus complexe, puisqu'elle a été adoptée. Plus qu'une quête des origines, c'est un désir de compréhension qui l'a poussée à écrire Le secret du coffre bleu, afin de percer le mystère de sa mère adoptive, Armande Martel, dont le passé contenait une expérience hors du commun, douloureuse; après l'orphelinat et le couvent, quatre ans d'internement dans les camps nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Car Armande, qui faisait son noviciat en France, a été arrêtée en 1940 comme tous les sujets britanniques. «Je voulais lui rendre hommage, tout simplement, parce que je trouvais qu'elle avait eu une vie un peu plate, dit Lise Dion. Mais elle est passée au travers de tout ça! Je trouvais que c'était extraordinaire comme histoire.»

Lise Dion connaissait l'expérience de sa mère dans les camps selon les anecdotes qu'elle lui racontait à l'occasion. «Elle n'en parlait pas beaucoup, et quand elle fermait la discussion, impossible d'en savoir plus. Les gens qui ont vécu les camps, quand ils se livrent, il faut que tu le prennes, ils n'aiment pas en parler longtemps.» Ce qui restait nébuleux par contre était la raison de sa présence en Europe pendant la guerre. Ce n'est qu'à sa mort qu'elle a appris, en trouvant des documents dans le coffre bleu qu'elle n'avait pas le droit d'ouvrir, la vie religieuse d'Armande. Un choc. «En voyant sa photo en religieuse, cela ma jetée par terre. Et je n'avais jamais vu ses passeports, la note d'arrestation. J'ai pu tâter la preuve et constater qu'elle avait vraiment vécu la Deuxième Guerre, elle qui avait une vie tellement rangée.»

Les documents du coffre bleu, les souvenirs de leurs discussions et beaucoup de recherches ont permis à Lise Dion d'accumuler suffisamment de matière pour écrire ce récit fictif inspiré de la vérité, dans lequel elle se glisse dans la peau de sa mère, narratrice de l'histoire. «Je peux dire que ç'a brassé, lance l'auteure, qui avoue avoir été carrément malade pendant la rédaction de son livre. «C'est quasiment une analyse de ma vie avec ma mère, j'ai compris bien des choses en écrivant, j'ai vu des similitudes, j'ai pleuré en me demandant comment elle avait fait pour passer au travers de cela. Ce qui me venait en tête, c'était sa façon de réagir, ses goûts, toute la rage qui était comprimée en dedans d'elle. C'était une épicurienne, quand elle est sortie du camp, elle a savouré sa liberté, elle a goûté à tout. C'était une bonne vivante, elle était de son temps. C'est un monument pour moi, une battante, une survivante, qui a toute mon admiration.»

Qui plus est, elle est devenue farouchement antireligieuse quand, à la Libération, sa congrégation n'a pas voulu la reprendre puisqu'elle était devenue forcément «impure»! «Ma mère n'était pas faite pour être religieuse, croit Lise Dion. Elle s'est payé la traite les premiers temps, à son retour au Québec. C'était une femme hyper évoluée, elle n'avait pas de tabou, tout le monde pouvait lui parler.»

Armande Martel est morte à 80 ans, dans la pauvreté, et une certaine solitude, incapable de remplacer l'homme qu'elle aimait et qui est mort lorsqu'elle avait 53 ans. «La moitié de sa vie dans l'enfermement du couvent et des camps, l'autre dans le chagrin d'avoir perdu l'amour de sa vie», note Lise Dion, dont le grand regret est de ne pas avoir pu gâter sa mère adoptive, qui n'a pas eu le temps de la voir réussir comme humoriste. Qui ne pourra pas non plus lire le livre que sa fille a écrit pour elle. «Mais je pense que ce livre, elle le mérite. Ce que je veux, bien humblement, c'est que les lecteurs aient une pensée pour elle.»

Le secret du coffre bleu

Lise Dion

Libre Expression, 204 pages