«Vous lisez de la poésie?!?» demandent les sourcils en forme d'accents circonflexes dans le métro. Oui, c'est parfait pour notre époque: simple, léger et court. On peut avoir deux ou trois recueils sur soi, oublier la page ou en sauter 20. On ne perd rien et tout se crée. On oublie tout le reste. On refait le monde, peu importe la longueur du trajet...

Ainsi consommée, la poésie devient vite nécessaire. D'autant plus quand on la pratique comme François Charron depuis près de 40 ans. Son recueil Cruauté de l'être (Écrits des Forges) dit la réalité nette et crue. Le poète constate, s'insurge et dénonce la barbarie.

Nous montons avec lui au front contre cette incroyable capacité des hommes à démontrer qu'«à quelques os près, l'humanité n'a peut-être pas existé». La vie reprend un peu de son sens dans l'union des corps et des coeurs. On peut y endormir la douleur des heures et des heures. Simplement, si «on se prend la main, on pénètre le souffle de l'univers». Mais Charron reste à tout moment lucide devant la folie meurtrière et la puanteur environnante. Nécessaire, donc.

Martine Audet se débat aussi avec la condition humaine et celle du poète face à l'écriture, jamais tout à fait libératrice. Dans Les grands cimetières I et II, (l'Hexagone) la forme est fixe, le fond frôle l'aphorisme, mais garde résolument le cap sur la rencontre poétique avec l'auteur, ses doutes, des peurs et ses espoirs, malgré tout. Chaque strophe est un voyage aux confins de l'univers, donc la vie, le présent de la poète et le passé futur, donc la mort. On pourrait s'abandonner au désespoir, mais c'est sans compter sur un certain regard espiègle de celle qui (d)écrit parfois avec une savante ironie.

Profonde, mais claire, forte d'enseignements, cette poésie magnifique saisit la beauté et l'absurdité en quelques lignes: «Une douleur est apparue profondément mienne/J'enterre ce qui échappe au premier pas du jour/Des séries ou des lois retiennent leur souffle/Je me moque des fins qui repassent en boucle/Les chiens mordent jusqu'au-dedans du coeur/Je dis toujours un tas de pauvres choses.»

La relève

D'autres voix moins expérimentées mais intéressantes se sont jointes à celles de leurs aînés au cours des derniers mois.

L'écriture de Frédéric Marcotte est singulière. Il y a un vrai souffle dans son Évangile (Les Herbes rouges). Presque roman ou encore récit autobiographique, ce livre de près de 180 pages ne manque pas de naïvetés ou de redites, mais la voix s'élève, vraie et humble. Elle a compris tout de même que ce n'est pas vanité «quand on se rapproche de la faiblesse humaine».

On assiste dans ce livre à une véritable naissance, celle d'un poète qui marque son territoire, entre le monde et son expérience du monde, beau et laid, toujours à l'affût des autres.

Soulignons aussi le double plaisir que procurent et les nouveaux auteurs et les maisons d'édition dynamiques qui diffusent la bonne nouvelle - évangile quand tu nous tiens! - des belles paroles cueillies partout au Québec, du Saguenay à Ottawa.

Aux Éditions Trois-Pistoles, Seule avec de Julie Tremblay raconte un voyage intérieur inspiré de la visite d'un pays qu'on devine très pauvre. Impuissante devant la douleur, l'auteure se questionne, se perd et se retrouve sans jamais nous laisser seuls avec... «la misère plus facile à regarder quand on en fait qu'un tour guidé».

Dominique Zalitis nous parle aussi d'un autre monde, celui de ses ancêtres probablement et/ou des poissons baltes qui lui soufflent les mots. Du frimas sur la mer (David) présente une belle unicité, un ton résolument ancré dans le paysage qui englobe, fait vivre, frémir et croire. C'est simple et beau comme dire avec justesse: «chaque naissance est le premier regard du monde».

Sur une note plus légère et ludique, enfin, Laurance Ouellet Tremblay fait son apparition dans le paysage poétique avec Était une bête (La Peuplade). Un dialogue se crée entre passé et présent, entre l'inertie et les départs. Il en ressort une bête, jamais nommée, mais devinée, qui se terre éternellement dans l'absence: «C'est juste pesant/Ma cage vide et les restes de toi/Ma bête/Dans un sac.»

...Et le sac du lecteur se referme dans le métro ou ailleurs, léger, mais lourd de nourritures inventées et de rencontres apaisantes. Jusqu'au prochain arrêt.