À 28 ans et avec trois romans au compteur, Émilie Andrewes montre qu'elle n'est pas qu'une étoile filante dans le paysage littéraire. Dans Les cages humaines, la jeune femme, aussi titulaire d'un bac en anthropologie, déploie son imagination fertile à Hong-Kong, dans une histoire où le réel et le virtuel s'affrontent, et où strip-teaseuses électroniques et grand amour se côtoient.

Choc culturel, admiration, peur: la Chine a laissé une impression très forte à Émilie Andrewes lorsqu'elle y a voyagé, en 2006. «C'est une civilisation fascinante, mais aussi un pays effrayant. C'est un grand paradoxe.» Elle a été marquée par le désir de s'enrichir qui tenaille tout le monde et qui fait que tout est possible. L'appât du gain est ainsi devenu un des thèmes principaux des Cages humaines. «Rien ne les arrête. Je ne vois pas ce désir aussi intense ici.»

C'est à Hong-Kong qu'elle a vu «le plus beau et le plus laid» de ce pays, mais toutes ces images ont mis trois ans avant de s'épanouir dans un roman. «Il y a toujours un espace en jachère entre chaque roman, et la germination peut prendre du temps. La récolte vient au moment d'écrire.» La métaphore agricole n'est pas innocente: après son bac, Émilie Andrewes a étudié en horticulture parce qu'elle se trouvait «ignorante» sur le sujet, et est en général fascinée par la nature.

Marché aux oiseaux

«En Chine, la nature enveloppe les gens, ils en font partie, sans essayer de la dompter. C'est une belle relation.» C'est ce qu'elle a constaté entre autres en allant au marché aux oiseaux de la rue Yuen Po, devenu le point de départ du roman. «J'ai eu le flash d'une tension dans ce lieu paradisiaque.» Elle a ainsi imaginé une confrontation entre deux hommes, un vendeur et un acheteur. Sont nés Lian, jeune homme à la recherche de l'oiseau qui lui portera chance, et Mianzi, marchand engagé dans un étrange rituel de destruction.

C'est surtout la quête de Lian qu'on suit, ainsi que ceux qui l'entourent: Fushi, son colocataire, homosexuel non assumé, et Mei, qui travaille dans un bordel et dont il tombe éperdument amoureux. Lian fréquente par ailleurs le Revolving Café, où il flambe tout son argent en faisant s'animer des strip-teaseuses électroniques.

On croise aussi un médecin canadien complètement égaré et assez pervers dans ce livre où les ruptures de ton sont nombreuses - et même de langue - et où l'humour n'est jamais bien loin. Tout le monde dans Les cages humaines est animé par un désir plus fort que lui et tente de se défaire de ses chaînes. C'est peut-être pour cela que Hong-Kong, où l'espace est si restreint, a inspiré l'auteure.

«Nous sommes tous prisonniers de quelque chose. Mais je n'ai pas voulu tomber dans le pathos, car c'est à la fois tragique et drôle. L'intérêt des limites, c'est qu'on peut les dépasser», dit celle qui déteste les étiquettes et qui s'est reconnue dans le côté «magique» des Chinois, qui passent constamment de l'extrême modernité aux croyances les plus profondes.

L'anthropologue en elle a aimé observer ce rapport aux racines, qui est clairement plus ancré là-bas qu'ici. «C'est ce qui leur donne cette force, une assise, une profondeur aussi. Ils ont un côté spirituel que nous n'avons plus, nous avons perdu ce lien avec Dieu. Ça en dit long sur notre société: un peuple sans mythologie, c'est très rare.»

Malgré toutes ces observations, Émilie Andrewes ne se prétend pas sinologue et réclame le droit d'inventer une histoire à partir de ce qu'elle a perçu et ressenti. «C'est ma vision», explique la jeune femme qui a écrit son premier roman à 18 ans. Le fait d'avoir pris la plume si jeune était peut-être dû à sa grande timidité - même si elle n'écrit pas seulement dans le but de s'exprimer et que le désir est beaucoup plus profond. Le succès - Les mouches pauvres d'Ésope, paru en 2004, a été finaliste au prix Ringuet de l'Académie des lettres du Québec -, les attentes - elle a été vite déclarée espoir de sa génération -, c'est merveilleux. Mais si tout s'arrêtait demain matin, elle ne cesserait jamais d'écrire: cela lui procure un bonheur beaucoup trop grand.

«On a accès à tout quand on écrit. On peut être femme, homme, jeune, vieux, on se lie à l'humanité.» Ses projets: écrire une trilogie sur le thème de la captivité, vue sous différents aspects. Oui, le défi est grand. «Mais quand je pense à tout le plaisir qui m'attend... J'ai l'impression que mes trois premiers romans ont été ceux de ma jeunesse et que maintenant, je l'ai quittée pour entrer dans le présent.» Souhaitons-le tout aussi passionnant, pour elle et pour nous.