Avec 500 000 exemplaires vendus en deux mois, Indignez-vous!, court manifeste écrit par Stéphane Hessel, grand résistant à l'occupation nazie et figure humaniste de la gauche française, est devenu un phénomène politique en France et un best-seller qui gagne l'international.

«Le motif de base de la Résistance était l'indignation. Nous, vétérans des mouvements de résistance, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la Résistance et de ses idéaux. Nous leurs disons: prenez le relais, indignez-vous», écrit cet ancien diplomate, âgé de 93 ans, dont la vie traverse les tumultes de l'histoire du XXe siècle.

Né en 1917 à Berlin dans une famille juive, naturalisé français en 1937, Stéphane Hessel a été résistant, rescapé du camp de concentration de Buchenwald et l'un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.

Alors que «la fin n'est plus bien loin», ce militant social-démocrate, veut aider, par cet opus de 20 pages au titre accrocheur, les jeunes à identifier «les raisons de s'indigner», «moins nettes dans un monde trop complexe» qu'à l'époque du nazisme ou de la décolonisation où «c'était relativement simple».

Son inventaire reste très général. En France, il s'en prend à la politique du président Nicolas Sarkozy, dénonçant une «société de soupçons à l'égard des immigrés», la «remise en cause des retraites» ou le pouvoir «insolent» de l'argent avec «ses propres serviteurs jusque dans les plus hautes sphères de l'Etat».

Au niveau mondial, c'est «la dictature des marchés financiers», «l'écart entre les très riches et les très pauvres qui ne cesse de s'accroître» ou le blocus de Gaza («son indignation principale») qui «peut expliquer l'envoi des rockets du Hamas» sur Israël.

Lancé le 20 octobre à 8000 exemplaires par Indigène, une petite maison d'édition du sud de la France, Indignez-vous!, porté par des réseaux associatifs et de libraires indépendants, caracole en tête des ventes avec son prix modique de trois euros.

«On prépare le onzième retirage. Cela fera 800 000 exemplaires!», compte l'éditrice, Sylvie Crossman, qui croule sous les mails de lecteurs enthousiastes et les demandes d'interview ou de conférences du nonagénaire.

«Par son aura personnelle et sa vie extraordinaire, Stephane Hessel fait le pont entre la grande résistance historique et des petites pratiques de résistance au quotidien. C'est un cri de ralliement de toutes les indignations» souligne-t-elle à l'AFP.

Dans un climat social tendu, marqué par la crise et l'échec des grandes manifestations de l'automne contre la réforme du régime des retraites, «Hessel a catalysé l'attente de beaucoup de Français», renchérit le philosophe Edgar Morin. «Son message, c'est: "Osez, manifestez, ne restez pas dans la résignation"».

Mais le succès dépasse les frontières et des demandes de traduction affluent de toute l'Europe, mais aussi de Corée du Sud ou des Etats-Unis.

«Nous sommes aussi enthousiasmes que les lecteurs français», écrit une libraire de Namur (sud de la Belgique) à Sylvie Crossman.

Du fait de ses propos sur la Palestine, «un journaliste du grand quotidien turc Hürriyet lui a dit que le coeur des stambouliotes battait à l'unisson d'Indignez-vous !» rapporte l'éditrice. Et «un journaliste japonais lui a demandé si son livre ne reflétait pas la gravité de la situation du monde».

A seize mois de la présidentielle française, Stéphane Hessel se dit conscient d'avoir créé une attente sur une suite politique à son livre.

Mais le vieil homme, qui plaide pour une candidature de la patronne du Parti socialiste Martine Aubry, se veut lucide, admettant que l'indignation n'est pas un programme électoral. «Indignez-vous!, ce n'est pas grand chose, c'est peut-être le premier étage d'une fusée», résume-t-il.