C'est par un roman sombre, à mille lieues du Québec, que Perrine Leblanc sort de l'ombre. En remportant le Grand prix du livre de Montréal cet automne, devant Marie-Claire Blais, Louis Hamelin, Élise Turcotte et Miguel Syjuco, elle a créé la surprise avec L'homme blanc. Un premier roman d'une grande maîtrise, qui se déroule du goulag en Sibérie jusqu'à un cirque de Moscou.

Il ne faut jamais sous-estimer les tocades d'adolescence. Elles peuvent nous mener loin. Perrine Leblanc avoue, non sans rougir, avoir développé à 14 ans un amour fou pour un joueur de hockey russe. De là est née sa «russophilie», assez pour qu'à l'école secondaire, on lui donne des surnoms russes. Le joueur de hockey est passé, l'obsession pour la Russie est restée.

Mais c'est un voyage en Roumanie, beaucoup plus tard, qui deviendra le détonateur de son roman. Son amoureux de l'époque et elle se sont fait voler 300 $ par un prestidigitateur doué. «Ce qui m'a fascinée, c'est que tout s'est fait sans violence, c'était une mise en scène», se souvient-elle. Le soir même, à l'hôtel, elle voit un documentaire sur un enfant du goulag.

Kolia était né. L'homme blanc de son roman. Elle prend des notes et des notes sur lui, construit ce que l'on pourrait appeler une bible de personnage, si bien qu'au moment d'écrire, la psychologie de Kolia lui est assez connue pour qu'elle n'ait pas à l'expliquer. Le charme de la narration s'en trouve amplifié. «Je ne voulais pas de surenchère dramatique «, note l'auteure. Nous suivons donc le dur destin de Kolia, né en 1937 au goulag et très rapidement orphelin. Un homme, Iossef, le prend sous son aile, lui apprend à lire, lui enseigne les règles de base pour survivre, bref, il devient une figure paternelle qui le met littéralement au monde. Après sa disparition, Kolia sera toujours à sa recherche, même devenu clown dans un cirque à Moscou, et malgré les aléas de l'URSS en pleine transformation.

D'une certaine façon , Perrine Leblanc a choisi une forme d'exil pour écrire, en se glissant dans la peau d'un homme russe. «Une journaliste a écrit que pour entendre ma voix romanesque, j'avais besoin d'être ailleurs, et je suis d'accord.» Peut-être cela s'explique-t-il aussi par son métier: après avoir étudié la littérature à l'Université Laval, fait son mémoire de maîtrise sur Nancy Huston, elle travaille depuis 2007 à l'équipe éditoriale des éditions Leméac. Lire est son métier. Pour s'évader des classiques obligatoires de l'université et des manuscrits qui l'occupent à temps plein, elle s'est tournée vers la littérature française contemporaine.

C'est une lectrice assidue de Jean Echenoz, Pascal Quignard, Richard Millet, Pierre Michon, Mathias Énard. «Je pense que l'envie d'écrire vient essentiellement de la fréquentation des grands auteurs «, croit-elle. L'homme qui rit de Victor Hugo, dans lequel on retrouve la tragique figure de Gwynplaine, aura été d'une grande influence dans ce désir, et pour l'écriture de L'homme blanc. Gwynplaine et Kolia ont une certaine parenté dans cette fascination de Perrine Leblanc pour la laideur, cette vie qui ne fait pas de cadeaux, ces destins broyés, ces hommes et ces femmes sans voix. Car si L'homme blanc séduit par la fluidité du style, il n'en demeure pas moins un roman très dur, voire cruel.

«Les romans qui me touchent le plus sont ceux qui mettent en scène des personnages marqués par la vie. Physiquement ou psychologiquement. C'est comme ça. Par identification peut-être. Mon rapport au monde est peut-être comme ça. La violence, je la connais, j'en ai fait l'expérience, mais je n'ai pas besoin de raconter ma vie.»

On ne lui donnerait pas ses 30 ans, tellement le visage de Perrine Leblanc semble figé dans l'enfance. Tout cela n'est qu'apparence: son prochain projet de roman lui est inspiré par des voix de femmes assassinées... Forte du Grand prix du livre deMontréal, qu'elle n'espérait même pas gagner en voyant la qualité des finalistes, elle sait que tout a changé. Qu'elle est maintenant écrivaine, sans aucun doute, et qu'on attend son prochain roman.

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L'homme blanc. Perrine Leblanc Le Quartanier, 174 pages.