Sokal passe du canard à l'aigle avec Kraa - La vallée perdue qu'il vient présenter au Salon du livre. Campée dans un Nord fantasmé dans les années 20, cette rude histoire de vengeance découle d'une idée de jeu vidéo née à Montréal.

Voler est le fantasme de bien des êtres humains depuis des temps immémoriaux. Icare peut en témoigner. Des esquisses de machines volantes dessinées par Léonard de Vinci également. Benoît Sokal, lui, a cru pouvoir en donner au moins l'impression en créant un jeu qui serait une espèce de simulateur de vol et placerait le joueur dans la peau d'un oiseau.

L'idée lui est venue il y a quelques années, à Montréal, lors d'un séjour consacré à la création de son jeu Syberia. Sokal doit sa renommée à son célèbre inspecteur palmé, Canardo, mais il a aussi fait sa marque dans le domaine du jeu vidéo (L'amerzone, Paradise, etc.).

«Pour moi, le jeu vidéo et la bande dessinée ne sont pas très différents. C'est de la narration, mais avec des codes différents», résume-t-il. Ce qui m'a attiré dans ce domaine, c'est la possibilité offerte par le 3D d'immerger le joueur, ou le lecteur, dans l'histoire et le décor.»

Son idée de faire voler les gamers n'a jamais abouti. Il l'a donc transformée en une bande dessinée, ce qui lui a aussi donné l'occasion de revenir à ce mode de création où il se sent plus libre et plus léger. Comparé aux équipes et investissements colossaux demandés par l'industrie du jeu vidéo, faire de la bédé est en effet de l'artisanat pur.

Une histoire de violence

Kraa - La vallée perdue, c'est d'abord l'histoire d'une amitié inusitée, celle d'un jeune autochtone et d'un aigle liés par une forme de télépathie. Une histoire de vengeance, aussi: la famille du garçon a été décimée par des aventuriers venus dans ce coin de pays sauvage pour en exploiter les ressources naturelles.

Sokal a d'emblée établi qu'il ne voulait pas d'une belle histoire d'amitié entre un enfant et un animal comme celles qui l'ont fait rêver lorsqu'il était gamin. Son aigle - le Kraa du titre - a des préoccupations d'aigle: tuer pour manger et protéger son territoire.

L'étrange tandem qu'il forme avec l'enfant est d'autant plus inquiétant que le bédéiste donne très peu accès aux «pensées» de l'animal. D'où cette impression qu'il pourrait très bien se retourner contre l'enfant. «Dans l'esprit de l'enfant, il y a peut-être de l'amour, mais dans celui de l'aigle, ce n'est pas ça, souligne Sokal. Ça n'existe pas dans le règne animal.»

Inspiré sur le plan visuel par les peintres de l'Ouest américain (des représentations de Yosemite Valley et de Yellowstone, notamment), Sokal s'est aussi nourri de son affection pour une certaine littérature américaine qui embrasse les grands espaces, Jim Harrison en tête. «J'aime qu'il y ait de l'air dans ce que je dessine», dit-il.

Kraa est aussi empreinte d'un sens du sacré qu'on trouve dans les mythes antiques. «Je construis mes histoires comme des tragédies, confirme l'artiste. Je n'aime pas beaucoup les histoires où l'auteur s'acharne à démolir les codes sous prétexte qu'on les a trop employés. Il y a des schémas universels, qu'on trouve autant chez les Inuits que les Africains. Ça ne me dérange pas que les cordes soient usées.»

Benoît Sokal sera au Salon du livre de Montréal vendredi, samedi et dimanche.

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