Sept ans après L'analyste, puissant roman sur les séquelles de la guerre en ex-Yougoslavie, David Homel est de retour avec Le droit chemin, roman en apparence plus léger qui se passe à Montréal - une première pour l'auteur qui vit ici depuis plus de 20 ans. Mais cette histoire sur la tranquillité et l'intranquillité ne pouvait pas prendre place ailleurs.

Lorsque David Homel s'est installé à Montréal, il a été horrifié de voir qu'à la nuit tombée, les gens ne fermaient pas leurs rideaux. «Je ne ferais jamais ça, même maintenant!» Mais pour le romancier originaire de Chicago, c'était aussi un bon signe: cette tranquille assurance d'être en sécurité lui a fait conclure que c'était la ville où il devait vivre.

Dans une scène de son plus récent roman intitulé Le droit chemin, son héros Ben Allan, quinquagénaire en pleine tourmente existentielle, arpente justement les rues de Montréal en observant la vie des autres par leur fenêtre. C'est que l'auteur et traducteur - notamment de Dany Laferrière, Robert Lalonde et Monique Proulx - vient de faire un grand saut avec ce roman intime et méditatif. David Homel a toujours écrit des histoires épiques et violentes, des fresques portées par l'action qui chevauchent les continents et les grands conflits. Des trames auxquelles Montréal, ville sans grand drame, ne se prêtait pas... jusqu'à aujourd'hui avec ce sixième roman, le premier à se dérouler dans la métropole québécoise.

«Mon héros vit bien, il a une maison, pas de problème d'argent, il n'est pas menacé par un système social ou politique. En fait, sa seule menace est... le manque de menace.» En pleine crise de la cinquantaine, le professeur de littérature, marié et père d'un ado, cherche à tromper son ennui - il a d'ailleurs écrit un essai sur la dromomanie, l'équivalent masculin de l'hystérie, une (vraie) pathologie qui, au XIXe siècle, poussait les hommes à fuir. Belle métaphore.

On s'attend alors à ce que Ben Allan vive une aventure banale avec une jeune femme, mais il trouvera plutôt sur son chemin une artiste un peu dérangée, un galeriste ratoureux et un psychiatre mégalomane. Et il n'aura pas l'aventure sexuelle attendue. «Ce qui le bouleverse encore davantage», estime David Homel, qui s'est amusé à éviter les clichés du genre. La femme de Ben, d'ailleurs, demeure la figure la plus mystérieuse du livre. Laura, qui fait de l'art thérapeutique, est une énigme que son mari devra bien finir par résoudre, surtout que, comme lui, elle commence à souffrir de tranquillité. «Elle occupe un espace honorable dans le livre. Elle n'est pas un objet comme dans ceux de Philip Roth, par exemple.»

Même s'il parle de famille et des effets du temps sur le couple, c'est la relation père-fils qui forme le noeud du Droit chemin. Les rencontres entre Ben et son père Morris, entré récemment dans une maison de retraite et faisant à sa manière le deuil de sa femme, sont sûrement les passages les plus touchants. C'est David Homel qui le dit. «Sans avoir l'air prétentieux, je crois que ce sont les pages les plus senties.» Mais il n'en a fait le constat qu'une fois le livre terminé, livre qui raconte en somme la vieillesse non vécue de son père, mort il y a 10 ans. «Comprendre le vide, le deuil, c'est quelque chose que je ne maîtrise pas. Dans notre société, le deuil est vu comme quelque chose à surmonter. Mais c'est une grave erreur. On ne se défait pas de la douleur, c'est une couche qui s'ajoute à notre vie pour toujours.»

Ce manque qui est au coeur du roman, il a fini par l'admettre - même en entrevue, il prend du temps avant d'y arriver, se départissant un instant de son humour pour plonger dans un sujet qui, visiblement, le touche beaucoup. Ce n'est pas pour rien s'il a mis autant de temps à écrire Le droit chemin, commencé peu après la sortie de L'analyste, en 2003. «J'ai écrit deux romans jeunesse avec Marie-Ginette Gay et réalisé un documentaire tout en travaillant sur Le droit chemin», souligne-t-il pour montrer qu'il n'a pas chômé pendant sept ans... Mais écrire un roman dans lequel «il n'y a pas d'intrigue» lui a donné du fil à retordre. «Parler du quotidien, de la vie de famille, des relations humaines et souder tout ça n'est pas facile. J'ai mis du temps à comprendre de quoi je voulais parler, et comment.»

Une méditation qui a porté ses fruits puisque le parcours de Ben Allan est tout sauf ennuyant, porté par l'humour ironique typique de l'auteur - il faut lire la scène où le vieux Morris apostrophe un groupe de juifs hassidiques dans une rue d'Outremont en les accusant de dénaturer leur religion. «Je ne sais pas s'ils trouvent ça drôle, mais moi, beaucoup!» Le tout pimenté de réflexions sur l'art, le monde universitaire, la folie et les relations d'aide: tout le monde tente de trouver la clé à son problème, du fils qui participe à un groupe de soutien pour accros à la télé, au grand-père qui combat sa culpabilité avec un balai. «Les thérapies, c'est comme un buffet chinois», rigole-t-il.

En fait, David Homel a tellement ramé sur l'écriture du Droit chemin qu'il a commencé un autre roman en même temps - ce qu'il ne recommande à personne. Ses bases sont donc déjà bien établies et il y racontera la jeunesse (fictive) de sa mère à Chicago dans les années 20. Même si la toile de fond sera historique, il s'approche encore de l'intimité, la sienne en tout cas. «En vieillissant, j'ai peut-être moins besoin d'être spectaculaire.»

Le droit chemin

David Homel

Traduit par Sophie Voillot

Leméac/Actes Sud, 408 pages