Un recueil de nouvelles, Dissimulations, qui sort cet automne; un roman, Clandestino, publié en février prochain; une volumineuse saga historique qui est déjà terminée et dont la sortie est prévue pour 2012; et déjà, un autre roman et d'autres nouvelles qui sont en route. Sergio Kokis serait-il devenu hyperactif?

Pas du tout, répond l'auteur de 66 ans. «C'est seulement que j'ai passé deux ans sans éditeur, et que je continue au même rythme, à un livre par année. Théoriquement, je pourrais donc être publié posthume...»

Lorsque son ancienne maison d'édition, XYZ, a été achetée par Hurtubise HMH, Sergio Kokis a en effet décidé de racheter ses droits et de continuer à écrire. Après deux ans dans les limbes, il publie finalement le produit de ce travail chez Gaëtan Lévesque, fondateur d'XYZ qui a lancé une nouvelle maison d'édition. Tous ses autres livres - devenus introuvables - y seront aussi réédités d'ici 2012.

Ce foisonnement de projets explique sûrement l'enthousiasme de Sergio Kokis, qui commente chacun d'entre eux avec passion. Quand finalement nous parlons de Dissimulations, il raconte avoir décidé de se mettre au court pour se reposer de l'écriture d'un roman dont il n'arrivait plus à voir la «perspective métaphysique» et qu'il ne voulait pas gâcher. Il l'admet: une nouvelle est plus facile à «posséder» qu'un roman. «Un roman, c'est comme un grand banquet, il faut de l'appétit. Les nouvelles, ce sont des hors-d'oeuvre. Un peu comme un sketch par rapport à un tableau», dit l'auteur qui est aussi artiste peintre.

Des dissimulations

La plupart des nouvelles de Dissimulations ont été écrites pendant la même période, et le thème s'est vite imposé. Dans les nouvelles de Kokis, tout le monde a quelque chose à cacher... ce qui n'est pas nécessairement négatif. «Nous sommes tous romanciers de notre vie. Notre identité est un produit de fiction, et chacun construit son récit selon les événements.» La dissimulation, estime-t-il, est souvent une question de survie, c'est pourquoi ce sont surtout les femmes qui s'en servent. «C'est parce qu'elles n'ont pas le choix! Encore maintenant, leur sort est difficile, et terrible dans beaucoup de sociétés.»

C'est probablement la première nouvelle, Un tout petit viol, qui lui a donné le plus de fil à retordre, lui qui n'a qu'une seule peur: celle de ne pas être à la hauteur de l'histoire qu'il a imaginée. «Il y avait un danger. Il fallait que le violeur soit humain, assez pour qu'on se pose des questions sur la direction que je prenais. Je ne voulais pas qu'il soit seulement un monstre, il fallait qu'il soit plus complexe, pour confronter les lecteurs.»

Cette nouvelle - et son pendant, Le reclus, placée à la fin du livre, dans laquelle une ancienne prostituée découvre qu'elle a été l'objet de son mari pendant toute sa vie - est donc sa «prise de position morale». «Entre les deux, on peut rigoler», lance-t-il. Un faux prêtre psychopathe, un critique littéraire qui kidnappe un auteur, un homme qui se suicide pour mettre des bâtons dans les roues de sa femme... C'est vrai que Kokis s'amuse encore à décortiquer l'âme humaine, mais c'est dans sa fascination pour la langue et ses différents niveaux qu'on reconnaît sa touche: dans Maître Carducci, un homme est désespéré parce que sa maîtresse ne veut plus dire de «cochonneries» pendant l'amour, dans Grossièretés, un jeune garçon se met au défi de nommer le plus de mots vulgaires en classe. Et dans Phimosis - son «tour de force linguistique», affirme-t-il -, les pensées d'un jeune homme à propos de son prépuce sont le sujet principal. «J'en parle avec un langage soigné, pas ordurier du tout, pour que ce soit lisible malgré le sujet!» dit-il en rougissant un peu.

L'identité de l'être humain est dans le langage, croit-il. D'ailleurs, dans Une montre suisse, sa nouvelle la plus touchante, un exilé va à la rencontre d'un écrivain pour entendre le récit de sa propre histoire. «J'ai appris plus sur l'humain dans la littérature que dans les livres de psychologie, soutient le psychologue de formation. C'est pourquoi la littérature ne peut pas mourir. Sinon l'humain perdra toute capacité de réfléchir.»

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Dissimulations. Sergio Kokis. Lévesque éditeur, 238 pages.