La romancière de langue allemande Herta Müller a évoqué les fantômes du communisme, regrettant que la Roumanie n'ait pas réglé ses comptes avec le passé, lors de son premier voyage dans son pays natal après avoir reçu le prix Nobel de littérature en 2009.

«J'ai espéré comme tout le monde qu'après la chute de la dictature les choses seraient clarifiées et que ceux ayant eu des responsabilités horribles ne jouiraient plus de pouvoir ou d'influence», a-t-elle déclaré lundi, lors d'une conférence de presse à Bucarest.

Selon elle, les membres de la Securitate (la police politique communiste) «sont partout, ils ne se sont pas évaporés».

«Ce n'est pas normal qu'ils détiennent toujours des fonctions importantes, qu'ils en profitent pour s'assurer une deuxième vie après la dictature», a-t-elle regretté, ajoutant: «C'est ce qui a déçu tout le monde, pas seulement moi».

Issue de la minorité germanophone de Roumanie, Mme Müller, 57 ans, avait été persécutée par la Securitate pour avoir refusé de collaborer, avant de s'exiler en Allemagne en 1988.

Ses romans, dont La convocation et Le renard était déjà le chasseur, décrivent la terreur et les humiliations subies sous le régime totalitaire de Nicolae Ceausescu.

Évoquant le cas du poète Oskar Pastior, son ami mort en 2006 dont elle a récemment appris la collaboration avec la Securitate, elle a appelé à juger les informateurs «au cas par cas, en analysant les circonstances» de leur collaboration.

Alors que nombre d'informateurs l'ont été «pour avancer dans leur carrière ou gagner de l'argent (...), Oskar Pastior n'a pas eu de choix», après être rentré d'un camp d'Union soviétique où il avait été enfermé pendant cinq ans, à l'instar de nombreux autres membres de la minorité allemande de Roumanie.

«Il était un homme brisé, s'il n'avait pas accepté (de collaborer, ndlr) il aurait été emprisonné», a-t-elle dit à propos de l'écrivain dont la détention a inspiré son roman Atemschaukel (La balançoire du souffle).

Peu connue en Roumanie avant le prix Nobel, Herta Müller y est aujourd'hui l'un des écrivains les mieux vendus, sept de ses oeuvres ayant jusqu'ici été traduits en roumain.

L'annonce de sa visite de deux jours a d'ailleurs suscité un énorme intérêt, les billets pour un débat en compagnie de l'écrivain et éditeur roumain Gabriel Liiceanu s'étant vendus comme des petits pains, selon les organisateurs.

Habillée de noir et légèrement mal à l'aise en raison de la curiosité des journalistes, elle a assuré n'avoir «changé qu'à l'extérieur» depuis la récompense octroyée par l'académie suédoise, en plaisantant sur les contraintes découlant de cette nouvelle célébrité: «Je n'arrive plus à me soustraire aux conférences de presse».

Parlant en roumain, tout en s'excusant de ne plus très bien maîtriser cette langue, elle a évoqué les difficultés à «transposer une réalité, même inventée, fictionnelle, sur le papier. C'est ce à quoi je travaille».

Et d'assurer que ses «livres semblent mieux écrits dans leur version roumaine».

«Il devrait y avoir un prix Nobel pour la traduction», a-t-elle proposé, ajoutant sur le ton de la plaisanterie qu'elle envisageait de remettre son propre prix à son traducteur roumain Alexandru Sahighian.

Interrogée sur la possibilité d'être décorée par le président Traian Basescu, comme l'a proposé une association d'anciens participants au soulèvement anti-communiste de 1989, Herta Müller a répondu sèchement: «Je ne collectionne pas les médailles».

Ni d'ailleurs les souvenirs de sa vie avant l'exil: «Le plus beau jour passé en Roumanie? Impossible à dire!».