La crise de la cinquantaine dans toute sa splendeur, voilà ce que Bertrand Gervais nous propose de vivre «comme dans un film des frères Coen», qui est l'une des belles surprises de la rentrée littéraire québécoise.

Spécialiste de la littérature américaine contemporaine, Bertrand Gervais fait découvrir à ses étudiants, trimestre après trimestre, les Don DeLillo, Thomas Pynchon, Joyce Carol Oates, Kurt Vonnegut et Paul Auster. Dans les années 90, alors que j'étudiais à l'UQAM, c'était probablement le cours le moins amidonné du programme d'Études littéraires. Nous étions tous là pour connaître nos classiques, Gervais nous enseignait les classiques en devenir. On ne savait pas trop comment aborder Abattoir 5 de Vonnegut ou Chien galeux de DeLillo, surtout après avoir traversé les «romans de la terre» de la littérature québécoise. Il en fallait bien un pour nous l'apprendre. «Pour moi, la littérature a commencé en 1960, dit-il en éclatant de rire. Surtout au Québec!»

Bertrand Gervais est un explorateur de la forme et de l'imaginaire, comme chercheur à l'UQAM, essayiste, et plus personnellement comme romancier (Oslo, Gazole, Les failles de l'Amérique, L'île des pas perdus). Comme Rémy, le héros de son dernier roman, il n'a jamais trôné au sommet des palmarès. Ce que Rémy, lui, vit très mal, après avoir consacré cinq ans de sa vie à son grand roman, Argyle Street, que la critique n'a pas compris et que le public n'a pas lu. Depuis, c'est la page blanche, la jalousie envers son collègue Victor Tracas (prix du gouverneur général, lui), le sentiment d'être déclassé en âge et en succès par son fils artiste, le tout doublé d'une crise existentielle tournant principalement autour de la peur d'une perte possible de sa virilité. Bref, c'est la totale. Et Rémy s'enfonce de plus en plus dans un monde fantasmé, gouverné par la voix sensuelle d'un GPS qu'il a surnommé Gwyneth «Parle-trop». Sa femme n'en peut tout simplement plus de le voir devenir «L'homme qui n'était pas là» - vous reconnaîtrez ici le titre d'un film des frères Coen... «Si Rémy me ressemble, c'est sur le mode de la caricature, explique Bertrand Gervais. Je ne vis pas de ma plume puisque j'enseigne, j'ai la liberté de faire ce que je veux, mais en même temps, l'accueil public va avec le type de roman que j'écris. Moi, je vis très bien avec ça!»

Cette fois-ci, par contre, l'humour assez irrésistible de Comme dans un film des frères Coen risque d'attirer plus de lecteurs dans les filets très serrés de sa fiction. C'était un objectif pour Bertrand Gervais, après qu'un ami lui eut fait remarquer que son humour naturel ne se retrouvait pas dans ses romans «sombres et denses». «Je voulais que ce soit léger tout en traitant d'un sujet possiblement lourd, la crise de la cinquantaine. En même temps, mes préoccupations restent les mêmes: la mort, le vieillissement, les personnages imaginaires...»

«Un des éléments de cette crise, note l'auteur, est que mon personnage est totalement obsédé par l'idée qu'il pourrait perdre quelque chose, que s'il ne baise pas tout de suite, il ne baisera plus jamais. Son corps est une machine en train de ralentir, tout le roman est traversé par cette obsession.» Et non, ce pays n'est pas pour le vieil homme, pense Rémy, (autre titre de film des frères Coen!).

«En fait, c'est une histoire d'impuissance, un roman très masculin, résume Bertrand Gervais. Mais je ne voulais pas faire ça sur le mode de la tragédie.»

Loin d'être tragique, en effet, bien qu'on développe une tendre sympathie pour ce Rémy qui en bave. Pendant qu'il nage dans le pathos jusqu'à une coloscopie qui le terrifie, son ami «oulipien» Hubert tente de le garder parmi les vivants par un discours «ontologique» sur la queue qui traverse tout le roman - car il y en aurait neuf en tout, comme on a neuf vies. «Ce sont des queues métaphysiques, rigole Bertrand Gervais. La dernière, c'est la petite mort qui rejoint la grande...»

Intolérable cruauté... mais ne vous inquiétez pas, on ne brûle pas après la lecture de Comme dans un film des frères Coen. On en redemande.

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Comme dans un film des frères Coen. Bertrand Gervais. XYZ, 210 pages.