Pour fêter ses 50 ans, la revue littéraire et politique Liberté s'offre une anthologie en novembre, une exposition en décembre et, dès ce soir, un cabaret à son image, Liberté de parole. Place à la réflexion et à la poésie, mais avec l'humour, l'ironie et le scepticisme qui caractérisent la revue depuis ses débuts.

En prévision de la parution de Liberté 1959-2009: l'écrivain dans la cité - 50 ans d'essais en novembre au Quartanier, le comité de rédaction a tout relu. Cinquante ans de publications, cela veut dire... 280 numéros.

Une bonne partie du travail était déjà fait, donc, pour composer cette soirée de lecture faite de textes et de citations des collaborateurs les plus marquants de la revue, d'Hubert Aquin à Pierre Vadeboncoeur. Un petit condensé de l'histoire intellectuelle québécoise des dernières décennies.

La directrice du Festival international de la littérature, Michelle Corbeil, avait vu la première représentation du cabaret au printemps dernier. Elle a invité l'équipe à le présenter de nouveau au FIL.

Fondée par Jean-Guy Pilon au début de la Révolution tranquille, Liberté s'est construite «contre un vide culturel», comme l'écrit Jacques Godbout dans un récent numéro. Le vide a-t-il été «rempli» depuis et, si oui, par quoi?

«Ce qui nous a surtout frappés, troublés, c'est de voir à quel point beaucoup de textes des années 60, 70, 80 étaient encore d'actualité», souligne le rédacteur en chef Pierre Lefebvre. «Quand on voit comment les médias fonctionnent, le temps de la réflexion et de la littérature a beaucoup de mal à trouver sa place. D'un certain point de vue, ce type de parole est encore aussi absent de l'espace public qu'à l'époque où l'Église le régissait.» Beaudelaire était invisible parce qu'à l'index. Aujourd'hui, on ne songerait pas davantage à lui consacrer une émission de deux heures...

Pierre Lefebvre a retrouvé les préoccupations actuelles sur l'identité ethnique et culturelle en relisant La fatigue culturelle du Canada français d'Hubert Aquin, écrit en réponse à un article de Pierre-Elliott Trudeau qui mijotait déjà l'idée d'un Canada multiculturaliste. «La thèse de Trudeau, c'est que la place du Canada français va devenir emblématique dans le Canada à partir du moment où le Québec va devenir un objet d'envie pour le Canada anglais. On est condamné à l'excellence, disait-il. Aquin lui répond: «Je n'ai pas envie de vivre dans le regard de l'autre. Je n'ai pas envie que mon existence politique et culturelle se justifie par le regard de l'autre»», rappelle Pierre Lefebvre.

Il y a toujours eu dans la revue un scepticisme face aux idées reçues et c'est peut-être une raison de sa longévité, avance-t-il. Dès 1965, un numéro s'intitulait La contre-révolution tranquille. C'est ce même esprit que veut perpétuer l'actuel comité de rédaction, formé entre autres de Jean-Philippe Warren, Evelyne de la Chenelière et Olivier Kemeid. On veut faire de la revue un lieu de débats, un «acte de résistance tant au bavardage médiatique qu'au murmure marchand ambiant».

Pour traiter des sujets de société, Liberté fait souvent appel à des écrivains plutôt qu'à des spécialistes. En témoigne un texte éclairant sur le racisme au Québec, tiré d'une conférence récente de l'écrivain Pierre Nepveu. (Le spécialiste de Gaston Miron sera d'ailleurs l'objet d'un hommage aujourd'hui au FIL, à l'occasion du lancement du collectif Le marcheur des Amériques, consacré à son oeuvre.)

Les numéros anniversaires publiés depuis l'automne dernier causent de théâtre, de littérature, des institutions ou des Mythes de chez nous. Ils remettent en cause la dictature du «J'aime, j'aime pas» dans le milieu culturel, à la critique journalistique abordant les oeuvres comme on examine une voiture, à la valeur accordée à la quantité plutôt qu'à la qualité des oeuvres.

«En face d'un Québec créatif, généreux, audacieux, progressif et ouvert qu'on n'arrête pas de nous présenter, j'ai l'impression d'être au bord de la folie, tellement l'image qu'on nous donne à voir ne me semble pas refléter le monde dans lequel je vis», écrit Pierre Lefebvre, qui n'est pas d'une génération «pouvant chanter à tue-tête que c'est le début d'un temps nouveau». Pas du tout nostalgique de la Révolution tranquille, «une période où tout ce qui semblait possible ne s'est pas donné la peine d'advenir».

Liberté a encore de beaux jours devant elle, semble-t-il.

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Liberté de parole, avec Marie-Thérèse Fortin, Alexis Martin, Sébastien Ricard, Olivier Kemeid, Evelyne de la Chenelière et Ève Pressault. Ce soir, 20 h au Lion d'or.

Liberté 1959-2009: l'écrivain dans la cité - 50 ans d'essais, à paraître au début du mois de novembre aux éditions Le Quartanier.

L'exposition Liberté, des écrivains dans la Cité (1959-2009) sera présentée à la Grande Bibliothèque, à partir du 14 décembre 2010.