Son documentaire sur les figurants d'Incendies est présenté demain à Radio-Canada. Son film Les petits géants, sur un opéra créé par des écoliers du sud-ouest de Montréal, est en nomination aux Gémeaux dimanche. Mais c'est d'abord un premier roman doublé d'une expo de photos! que la jeune cinéaste globetrotter a lancé cette semaine.

Au lever, Roxane compte les bouteilles de bières vides laissées par sa mère. Au delà de huit, sa mère ne se lèvera pas. Avec sept, Roxane pourra s'acheter un May West au dépanneur avant d'aller à l'école.

Certains détails ne s'inventent pas. Dans le long métrage Le ring, la réalisatrice décrivait le combat d'un garçon d'Hochelaga malmené par la vie. Dans son premier roman, Je voudrais qu'on m'efface, elle reprend le même fil pour raconter jusqu'au bout l'histoire des jeunes battants qu'elle a côtoyés à la fondation du pédiatre social Gilles Julien.

Inspirés par des enfants qu'elle a fréquentés, ses trois personnages au seuil de l'adolescence habitent un même «bloc» où ils se croisent sans vraiment se parler. Il y a Kevin, garçon sur le Ritalin qui, comme le Jessy du Ring, s'évade dans les spectacles de lutte au sous-sol de l'église où son père se transforme en superhéros. Il y a aussi Mélissa, dont la mère toxicomane fait le trottoir à quelques pas de chez elle et ne peut plus approcher ses enfants sur ordre de la Cour. Dans la petite Roxane, «mésadaptée socio-affective» qui s'échappe dans une Russie imaginaire pour fuir ses problèmes scolaires et son foyer alcoolique, il y a beaucoup de la «petite soeur» qu'Anaïs Barbeau-Lavalette a parrainée et qui est aujourd'hui dans la vingtaine.

«C'est elle à une période où elle aurait pu tomber. Sa fuite par l'imagination frôlait la folie, mais c'était sain. Elle se disait : «Je n'appartiens pas à ce monde-là.» Elle a sauvé sa peau», raconte la cinéaste en entrevue.

On reconnaît dans le roman des scènes du Ring. C'est que l'idée du livre est née avant le long métrage. La réalisatrice a commencé par écrire de courts textes inspirés des enfants qu'elle rencontrait. Ceux-ci ont alimenté le scénario de Renée Beaulieu. Après le film, elle a eu envie de poursuivre leurs histoires, sans la lourdeur du cinéma.

Et voilà un premier roman qui la laisse dans un état de «nudité vertigineuse», plus vulnérable qu'elle ne l'a jamais été à la sortie d'un de ses films. «J'ai l'impression d'une très longue naissance et aussi de la fin d'une étape. Je suis allée au bout de ce que je peux raconter de ce quartier-là», explique-t-elle. «Je ne l'ai pas écrit pour éveiller les gens mais parce que je crois que ces kids ont les plus grandes histoires au monde à raconter.»

Elle avait l'intuition de savoir le faire, non seulement en créant une histoire qui sonne vraie mais en collant à leurs mots, leur débit, leurs pensées, leurs peurs, leur instinct de survie.

Les faire exister le plus fort possible et pour le plus grand nombre, c'est là l'engagement d'une artiste qui a toujours voulu faire oeuvre utile. «J'espère que les gens vont y trouver une bonne histoire et que cette histoire va s'inscrire en eux, provoquer quelque chose. Si ces enfants réussissent à survivre à la dernière page, au livre fermé, c'est merveilleux!»

Éviter le misérabilisme

Elle y arrive avec talent, même si le pari n'était pas gagné d'avance. Comment éviter le misérabilisme? Comment créer un vrai roman plutôt qu'un scénario prétexte à une campagne de financement? (Elle avait songé un temps à faire intervenir le Dr Julien dans l'histoire, mais s'est ravisée.)

La narration emprunte le point de vue et la langue crue et parfois gauche des personnages. Les dialogues brefs, les phrases courtes, sont remplis de non-dits, de silence. Si elle ose sortir les violons, -un seul dans les faits, entre les mains de Roxane-, c'est pour la bonne cause. Et c'est peut-être le seul moment où on pourrait lui reprocher de nous tirer trop facilement les larmes. (Ce qui n'empêche pas d'être réellement ému.)

Dans le Ring, la famille éclate. Dans Je voudrais qu'on m'efface, la vie n'est pas rose non plus. On craint plus la DPJ que l'absence de parents. Le filet social plein de trous laisse les enfants à eux-mêmes. Mais on retient davantage la volonté des jeunes à s'en sortir et la force des liens qui les attachent à leurs parents, aussi «poqués» soient-ils.

L'âge des petits héros n'est pas fortuit. «Pour eux, il y a une urgence à se trouver, dit Anaïs Barbeau-Lavalette. Leur quête, c'est de se donner le droit d'exister même si personne d'autre autour ne leur donne. Certains y arrivent. Avec ce départ de vie-là, cela relève du miracle.»

Si elle affirme ne pas avoir écrit le roman pour éveiller les consciences, on le referme avec le désir de changer les choses. D'ailleurs, depuis le lancement, lundi dernier, Anaïs Barbeau-Lavalette et André Turpin exposent des photos d'enfants d'Hochelaga-Maisonneuve au Café de l'Usine C. Les fonds amassés lors la vente des photos seront remis à la Fondation du Dr Julien. Et l'une d'elle illustre la couverture du roman.

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Je voudrais qu'on m'efface. Anaïs Barbeau-Lavalette. Hurtubise, 175 pages.

Se souvenir des cendres

Elle ne choisit pas les chemins faciles, Anaïs Barbeau-Lavalette. La cinéaste et documentariste globe-trotter aborde souvent des sujets durs, sensibles. Son intérêt pour le monde de l'enfance se manifeste dans Les petits géants, le documentaire sur un projet d'opéra avec des écoliers du Sud-Ouest qu'elle a coréalisé avec son conjoint, Émile Proulx-Cloutier. En nomination aux Gémeaux, ce dimanche, il sort en DVD à la fin du mois de septembre.

Son documentaire sur le tournage du film Incendies, de Denis Villeneuve, a pris une nouvelle tournure lorsqu'elle a constaté que des scènes atroces avaient été réellement vécues par des figurants. Se souvenir des cendres sera présenté demain à 22 h 30 à Radio-Canada et au Festival du nouveau cinéma le 21 octobre.

Son prochain film, Inch'Allah se déroule en Palestine, où elle a habité et étudié. Et même si elle doit donner naissance à un premier enfant en décembre, elle compte bien attaquer le tournage l'année prochaine. «La meilleure façon de prouver qu'on peut être femme et faire des films, comme on nous demande souvent, c'est de tourner mon prochain film en Palestine avec un enfant au sein!» dit-elle en riant.