Une année à chercher l'équilibre en Italie, en Inde et à Bali, une autre exilée en Asie avec son futur mari, d'innombrables conférences, quelques passages à Oprah, l'adaptation de son livre pour le cinéma, une nomination dans les «100 personnes les plus influences» du Time Magazine... Après une décennie d'intensité et de succès aussi fulgurant qu'inattendu, que devient l'auteur Elizabeth Gilbert à la veille de la sortie en salle d'Eat, Pray, Love? C'est ce que La Presse lui a demandé.

Q : Après Mange, prie, aime qui relatait un important passage de votre vie et ensuite Mes alliances, où vous explorez de façon personnelle et universelle l'état de l'institution du mariage, où en êtes-vous comme auteure?

R : En ce moment, je suis assise dans ma cuisine avec les pieds dans les airs, et je sirote un verre de vin, ce qui est très agréable. Je prends l'été «off», pour me reposer et savourer les fruits rapportés par ces dernières années intenses. J'ai un roman en tête et je prévois me mettre au travail quand la température va se rafraîchir et les jours vont raccourcir. Après 10 ans sans écrire de la fiction, j'ai vraiment hâte de revenir aux sources.

Q : Voyagez-vous toujours autant?

R : Honnêtement, plus que je le souhaiterais! Je suis dans une étape étrange de ma vie, où le fait de me poser quelque part m'apparaît comme le comble de l'exotisme romantique. Mon mari et moi nous sommes installés dans une petite ville tranquille avec laquelle nous sommes simplement tombés en amour. Pour la première fois de ma vie, j'ai un jardin, des animaux domestiques et tous mes livres sont rangés par ordre alphabétique. J'adore mes voisins et je me sens amputée, chaque fois que je dois repartir sur la route. Cela dit, je voyage encore, mais de moins en moins chaque année. Je soupçonne toutefois que le virus du voyage va me rattraper, quand je serai vieille et prise d'ennui!

Q : Mange, prie, aime était un récit aussi universel qu'intime: aujourd'hui, êtes-vous en mesure de revenir à toutes ces découvertes et réflexions que vous a permis cette année de voyage?

R : J'arrive facilement à diviser ma vie entre «l'avant» et «l'après» Mange, prie, aime. Tout ce que je suis devenue, aujourd'hui, est le résultat de cette année de voyage en solitaire. Pour le résumer simplement, cet épisode a été l'année où j'ai grandi et où j'ai abandonné le fantasme d'être sauvée ou complétée par un autre être humain. Le moment où j'ai pris la responsabilité de ma propre vie, mon propre bonheur. Toutes ces leçons, grandes ou petites, m'appartiennent et j'y reviens chaque jour. Par contre, je ne peux pas dire que je continue aujourd'hui à vivre sous le mode «recherche», comme ça été le cas pendant cette année. Je pense que dans une vie, il y a des périodes de recherche et d'autres de repos. Et pour moi, la période actuelle en est une de repos.

Q : Êtes-vous nostalgique de l'année qui a inspiré Mange, prie, aime?

R : Je ne suis pas nostalgique de cette période, mais j'en conserve un souvenir très beau. En revanche, je crois que j'ai tendance à oublier à quel point certains jours de ce long voyage ont été difficiles et solitaires, comme ces nuits où j'étais rongée par le doute et la confusion. C'était une occasion unique et bénie, de pouvoir faire ce périple. Mais cela a demandé un travail immense de tout questionner, d'étudier chaque aspect de moi-même, bref, de me prendre comme une expérience scientifique. Ces temps-ci, je suis beaucoup plus calme et mon bonheur s'est stabilisé. Si je pouvais choisir un état où je pourrais rester en permanence, ce serait celui dans lequel je me trouve en ce moment.

Q : Lorsque vous passez par un aéroport, montez dans le bus ou dans un train, ou vous trouvez sur une plage, quel sentiment avez-vous, en voyant tous ces lecteurs le nez plongé dans Mange, prie, aime?

R : Enfin, comme je vous le disais, je ne sors pas beaucoup! Je vis dans une petite ville et fréquente quotidiennement la même douzaine de personnes. Et ceux-ci, heureusement, n'ont pas l'habitude de se promener avec mes livres dans les mains. À quelques reprises seulement, pendant des passages dans de grandes villes, j'ai vu des gens lire Mange, prie, aime. Et à chaque fois, j'ai la même réaction: je halète, je souris et je baisse la tête. Tout ça me dépasse encore, mais de la façon la plus agréable possible.

Elizabeth Gilbert

Née en 1969 dans le Connecticut, Elizabeth Gilbert avait déjà publié trois ouvrages et plusieurs textes de fiction, avant la parution d'Eat, Pray, Love en 2006. Journaliste pour plusieurs magazines et voyageuse intrépide, elle a fait son entrée sur la scène littéraire américaine en 1997, avec un recueil de nouvelles intitulé Pilgrims. Son premier roman paru en 2000, Stern Men, faisait le récit de conflits territoriaux entre les habitants de deux îles de pêcheurs de l'état du Maine. En 2002, elle a publié The Last American Man, l'histoire véridique du naturaliste Eustace Conway. Commited, la «suite» d'Eat, Pray, Love, est parue en janvier 2010.