Dans l'ombre de Fred Pellerin, des vocations s'éveillent au village de Saint-Élie-de-Caxton. Certaines plus tardives que d'autres: à 93 ans, Laurette Garand est probablement la serveuse la plus âgée du Québec. En plus des assiettes, elle sert des histoires aux clients. Des histoires peut-être plus vraies que celles «ramanchées» par son jeune concitoyen.

Laurette Garand est la doyenne du village de Saint-Élie. Le coeur et les yeux pétillants de son 20e printemps, mais avec 93 années inscrites au compteur. Une jeunesse. Sa voisine, Sabine Marie, possède un tout petit restaurant. Laurette et une autre voisine ont décidé de lui donner un coup de main. Elles viennent parfois faire la vaisselle ou assurer le service.

Servir, c'est une chose, mais quand on est la doyenne du village, on connaît des histoires. Comme Laurette n'a pas la langue dans sa poche, entre deux assiettes, elle raconte Saint-Élie. «Il y avait une table, le premier soir, ils étaient quatre. Ils ne voulaient pas de dessert. Je suis allée jaser avec eux, leur raconter comment était Saint-Élie quand je suis arrivée, à 18 ans. Finalement, ils ont décidé de prendre quatre desserts!

«On me demande ce qu'il y avait à Saint-Élie dans ce temps-là. Je leur dis: y'avait rien! Pas de lumières dans les rues, pas de trottoirs non plus. Il y avait des trottoirs de bois avec une marche de bonne et une marche de méchante. C'était pas évident de faire une promenade.» Elle peut aussi leur parler de «la Stroop», villageoise qui a inspiré L'arracheuse de temps à Fred Pellerin, et dont elle se souvient bien. «Elle n'était pas laide. On l'appelait la sauvagesse, mais elle n'était pas sauvagesse. C'est parce qu'elle ne parlait à personne.»

«Les gens veulent savoir comment est Fred, poursuit l'intarissable Laurette. Je leur dis qu'il est fin et qu'il a toujours été un bon conteur, mais qu'il a commencé tranquillement, comme n'importe qui. Fred, aujourd'hui, il fait bien son affaire. Il fait des bons spectacles et les gens aiment ça. Il emmène des visiteurs et nous, on aime ça. On leur envoie la main quand ils passent. Puis ça donne de l'ouvrage dans le village.»

Laurette a entendu quelques-unes des histoires du célèbre «conteux», même si elle n'a jamais vu un de ses spectacles. «Au début, Fred a jasé avec plusieurs personnes. Disons qu'il «ramanche» la vérité un p'tit peu, souligne-t-elle. Les personnages dont il parle, moi, je les ai connus.» Dernièrement, Fred est venu la rencontrer pour qu'elle lui raconte ses histoires. Une scène qui devrait se retrouver sur les suppléments du DVD de son spectacle L'arracheuse de temps. «Si Fred veut parler de moi dans un spectacle, je n'ai pas de problème avec ça, dit-elle. Pourvu qu'il me fasse bien paraître!»

«Un village qui parle»

«Depuis le temps que je le dis qu'on est un village qui parle: t'en as la preuve vivante, dit de son côté Fred Pellerin. C'est pas de la fausse modestie quand je dis au monde que ça ne vient pas de moi. Mme Laurette, elle, elle est très proche de la vérité dans ce qu'elle raconte. Il y en a d'autres qui colorent la réalité pas mal. J'ai voulu lui parler pour faire certifier des choses sur la Stroop parce qu'elle, elle l'a vraiment connue.»

Pour ce qui est du resto de Sabine Marie, il va rester ouvert encore quelques semaines. «Tant que Fred va nous emmener du monde», dit Laurette. «Les retombées touristiques, c'est du gravy, plaide Fred. Ce qui compte pour moi et ce sur quoi je travaille, c'est la qualité de vie dans le village et les touristes y contribuent en permettant d'établir de nouvelles affaires dont le monde de Saint-Élie profite. À la boulangerie, je pense qu'ils font 24 sortes de pains différents. À 1000 personnes, on ne peut pas faire vivre ça. Mais grâce aux touristes, on peut.» Même chose pour la fabrique de «conteux».