Sur une île isolée, des objets disparaissent peu à peu, sans raison. Il y a eu notamment le parfum, puis les oiseaux, les roses. Autant de choses qui ne provoquent plus d'émotions chez les habitants de l'île: comment pourraient-ils les regretter, puisqu'ils ne s'en souviennent pas?

Pourtant, à travers un harmonica ou un ticket de ferry (disparu aussi, avec toute possibilité de fuite), ou les photographies, ce sont des sentiments, des idées, des valeurs, la substance même de la vie qui s'en va.

Ceux qui ne respectent pas ce devoir d'oubli sont poursuivis par une police secrète, les «traqueurs de souvenirs». La narratrice du roman, une écrivaine qui n'a même pas de nom, est l'anti-héroïne par excellence.

Alors que son travail est d'imaginer le monde, elle brûle docilement les objets disparus. Y compris les livres de sa bibliothèque, quand les romans disparaissent. Le lecteur, installé au coeur de cette perfection totalitaire, éprouve un malaise d'autant plus grand que cette jeune femme représente le pire. Qui n'est pas tant d'être privé d'une liberté que le consentement passif, sans révolte, à cette privation.

Mi-orwellien, mi-kafkaïen, le roman de Yoko Ogawa prend aux tripes. Il ne pose qu'une question, fondamentale et universelle: une société peut-elle nous priver de ce qui fait l'essence de notre humanité?

Impossible de ne pas être hanté par cette question après la lecture. Mais la réflexion philosophique et politique est davantage esquissée que vraiment aboutie, ce qui nous laisse un peu sur notre faim.

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Cristallisation secrète. Yoko Ogawa. Éditions Actes Sud/Leméac. 342 pages, 35,95 $.