Loin des Chevaliers d'Émeraude qui connaissent un succès extraordinaire en France, avec 1,8 million de copies vendues, la nouvelle série d'Anne Robillard prend la forme d'un petit manuel d'ésotérisme, un concentré de ses propres croyances. Rencontre avec une adepte des anges déterminée à ne pas se faire plumer.

Les mondes fantastiques qu'invente Anne Robillard font l'objet d'un culte qui la dépasse elle-même.

Des fans donnent le nom de ses personnages à leurs enfants. D'autres souhaitent se marier dans les costumes des Chevaliers d'Émeraude, que revêtent les comédiens qui l'accompagnent lors d'événements publics.

Certains lui ont même demandé de créer une religion, ce qu'elle a refusé tout net. «Dès qu'il y a un chef, ce n'est pas une religion, c'est une secte. Et je ne veux pas être ce chef!»

Une trentaine de jeunes filles ont voulu aussi inventer une religion autour d'une des déesses de sa série. «Je leur ai dit qu'elles n'avaient pas compris mon oeuvre. On respecte tous les dieux. Un Chevalier d'Émeraude, c'est un serviteur du peuple en entier, pas juste d'un dieu, pas juste d'une personne.»

Un jour, elle a reçu un appel d'une dame de la Rive-Sud dont le mari mourant souhaitait connaître la fin de la série des Chevaliers. Le problème, c'est que l'auteure était en train de l'écrire. Anne Robillard est donc allée au chevet du lecteur et lui a raconté le dernier tome. Il est mort quelques jours plus tard. Sa femme a rappelé pour annoncer que son mari était parti heureux, disant qu'il allait «retrouver le chevalier Wellan sur les grandes plaines de lumière».

Faut-il s'en étonner? La nouvelle série d'Anne Robillard, Les ailes d'Alexanne (trois tomes prévus pour l'instant), est un concentré de ses propres croyances ésotériques: anges, réincarnation, âmes nouvelles et âmes soeurs. Les Éditions Guy Saint-Jean le présente comme un roman pour adolescents bien qu'elle l'ait écrit, il y a 20 ans, en songeant aussi aux adultes. Par l'écriture, elle voulait s'expliquer à elle-même la mort de sa soeur Josée, survenue 10 ans plus tôt. Elle a cherché des réponses qui lui convenaient dans différentes religions et ouvrages ésotériques.

La résurrection des corps à la fin des temps? C'est beaucoup trop loin! «Beaucoup de gens ont peur de la mort, de la vie. Ils ne savent pas ce qu'ils font ici. C'est une ébauche de réponse. Il n'y a pas un grand trou après. On va continuer à vivre de l'autre côté. C'est un livre réconfortant, très doux», explique-t-elle.

On y suit l'apprentissage d'une adolescente qui découvre ses dons de fée au contact de sa tante, qui l'a recueillie à la mort de ses parents. Elle se retrouve à la campagne, loin de tout, avec un oncle plutôt sauvage, rescapé d'une secte, qui rôde aux alentours.

Ce nouveau roman est aussi un peu un pari. Ses lecteurs la suivront-ils dans un univers d'anges et de fées qui aident les morts à regagner l'au-delà? Il y a ici beaucoup moins d'action que dans Les Chevaliers d'Émeraude, ou que dans la série A.N.G.E, qui parlait de l'Apocalypse.

France, États-Unis et auto-édition

Aujourd'hui, Anne Robillard connaît un succès hors du commun en France. Ses Chevaliers trônent dans les palmarès des best-sellers, tout près de Guillaume Musso et Katherine Pancol. Son éditeur français, Michel Lafon, se réjouissait cet hiver des 1,8 million (!) d'exemplaires vendus dans l'Hexagone. Si la formule «familiale» de Lafon lui convient parfaitement, Anne Robillard a refusé récemment une offre d'un éditeur américain. Il voulait prendre un pourcentage trop important des recettes sous prétexte qu'il s'occupait de la traduction, explique-t-elle.

Une agente littéraire de New York se charge maintenant de lui trouver un éditeur américain «qui va écouter ce qu'elle a à dire», un peu à la manière de Lafon. Et elle fait elle-même traduire ses romans à Montréal. «Cela coûte une fortune mais je veux garder le contrôle. Je ne me ferai pas manger tout rond par un gros éditeur.»

«Le travail d'écrivain, c'est une job comme une autre, poursuit-elle. Il faut se prendre en main et surveiller ses intérêts. Que les éditeurs comprennent qu'on est des travailleurs comme les autres, avec des droits. Je n'étais pas connue et je revendiquais déjà. J'ai changé les règles, dans tous mes contrats. Il faut être capable de manger!»

Pour l'heure, Anne Robillard n'a certes pas de mal à remplir son frigo. Elle se consacre à la suite des Chevaliers, Les Héritiers d'Enkidiev, dont le second tome paraît à l'automne et qu'elle édite elle-même, avec l'aide de sa soeur Claudia. «On a tellement appris depuis 2002. On est capable!»

Comment explique-t-elle son succès? «Ça sent les plumes!» sourit-elle. Oui, oui, les anges, dit-elle, le plus sérieusement du monde.

Les plus rationnels verront plutôt l'acharnement d'une bûcheuse qui écrit sans relâche depuis 30 ans et dont les classeurs sont pleins de manuscrits et d'idées de scénarios. Une boulimique de l'écriture qui a su profiter de la mode du fantastique, dans le sillage du Seigneur des anneaux et de Harry Potter.

D'ici deux ans, Anne Robillard souhaite quitter sa maison de la Rive-Sud pour une terre qu'elle a acquise en Estrie et où elle rêve d'élever des chevaux. Ces jours-ci, elle est en tournée en France. Elle y retournera à l'automne pour le lancement du tome 12 des Chevaliers, à Paris et Carcassonne.

Demain, elle présidera un banquet au château de Pierrefonds, en compagnie de fans et de chevaliers québécois et français. «Ils m'appellent déesse Anne. Ils ont mis ça en elfique. Ça fait Lessien Idril. Voyez, on perd le contrôle de ces choses-là...»

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Les ailes d'Alexanne, tome 1, 4 h 44. Guy Saint-Jean Éditeur, 320 pages, 14,95 $.