«Le titre le plus ennuyant jamais inventé.» Ce qualificatif d'un critique britannique illustre bien l'attrait iconoclaste des romans de Marina Lewycka. Après le succès inattendu de sa Brève histoire du tracteur en Ukraine, l'auteure britannique de 64 ans s'est penchée sur les cueilleurs de fraises avec Deux caravanes, qui vient de paraître en français, puis sur la fabrication de la colle avec We Are All Made of Glue, publié l'an dernier.

Au-delà de leurs péripéties alambiquées, les trois livres partagent une innocence et une fascination pour les erreurs de langage des immigrants. «Je suis née dans un camp de réfugiés en Allemagne de parents ukrainiens», explique Mme Lewycka, jointe au téléphone à Genève, où elle accompagnait des amis à une conférence d'histoire et en profitait pour écrire un article sur la ville pour le magazine de British Airways. «Je suis arrivée jeune en Angleterre, alors j'ai vécu de première main la vie de l'immigrant. Je trouve que les apports internationaux à l'anglais sont fascinants et lui donnent une vitalité incomparable.»

Et l'innocence? «L'Ukraine est un pays qui vit depuis longtemps dans l'ombre d'un empire, dit-elle. Alors elle garde une innocence qui appartient à ceux qui n'ont jamais été des oppresseurs. Je pense que les immigrants d'aujourd'hui dans le monde occidental ont une innocence comparable, qui leur vient de leur statut social plus humble. Ce sont des gens invisibles, ceux qui font fonctionner la société, qui nettoient les rues, réparent les maisons, font le travail que nous ne voulons plus faire.»

Deux caravanes raconte les aventures de deux Ukrainiens, un fils de mineur et une fille de professeurs d'université, qui se rendent en Angleterre pour y cueillir des fraises durant l'été. Ils sont victimes de la mafia russo-ukrainienne, de la cupidité et de l'arrogance de leurs employeurs britanniques et de leur difficulté à comprendre les codes d'une société riche mais déboussolée. Le titre réfère à la fuite, dans une tente-roulotte, des deux héros, avec un compagnon d'infortune africain pour qui il est encore plus important de réussir à s'installer en Angleterre, parce qu'un retour dans son pays natal signifie vivre dans une pauvreté abjecte.

«Mes parents étaient dans une position différente des immigrants d'aujourd'hui, dit Mme Lewycka. Certes, les possibilités de réussite économique étaient plus grandes en Angleterre qu'en Ukraine après la guerre, à cause du communisme. Mais la différence n'était pas aussi frappante qu'aujourd'hui. Et ils fuyaient le totalitarisme au moins tout autant que la pauvreté. Aujourd'hui, les immigrants ukrainiens sont venus en Europe pour des motifs essentiellement économiques. Ça ne rend pas leur présence moins légitime, à mon avis, parce qu'ils forment une sous-classe essentielle au bon fonctionnement du pays et de l'économie. Mais ça teinte certainement leur adaptation. Il est possible d'imaginer rentrer en Ukraine après avoir fait fortune, et de toute façon on peut retourner visiter sa famille. Je veux donner une voix à des gens qui sont habituellement silencieux.»

L'auteure britannique a essayé pendant plus de 20 ans de percer le milieu de l'édition. Une brève histoire du tracteur en Ukraine a notamment été refusée 36 fois. «En désespoir de cause, j'ai enseigné l'écriture et donné des cours sur les médias dans des universités, dit-elle. J'ai profité d'une retraite prématurée pour prendre moi-même un cours d'écriture avec un professeur qui est devenu mon agent. Au départ, ce devait être une biographie de ma mère, à partir d'enregistrements de conversations avec elle avant sa mort. Mais finalement, je n'avais pas assez de matériel. Alors j'ai décidé de broder à partir de sa vie et de celles de mon père et de ma soeur. Ça a donné les Tracteurs

Que pense-t-elle des scandales des autobiographies contenant des fabulations, comme A Million Little Pieces, de James Frey? «Je ne comprends pas pourquoi ces auteurs n'ont pas écrit un roman. Par exemple, mon père a fait une histoire des tracteurs ukrainiens, mais c'était beaucoup plus technique que celle de mon livre. Si on décide d'écrire une autobiographie, on est tenu à la rigueur. On ne peut rien inventer.»

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Deux caravanes. Marina Lewycka, Alto, 432 pages, 29,95 $.