La romancière Nelly Arcan s'est enlevé la vie après avoir été hantée longtemps par l'idée du suicide. Nelligan a terminé son existence dans un asile. Récemment, le chanteur Biz de Loco Locass a publié le récit de la dépression qui l'a frappé à la naissance de son premier enfant. Pourquoi tant de souffrances psychologiques chez les écrivains? Depuis quelques années, plusieurs auteurs témoignent de l'influence de la maladie mentale sur leur travail.

Peu après avoir terminé sa résidence en neurologie, Alice Flaherty a accouché de jumeaux prématurés qui sont morts peu après leur naissance. Terrassée, la neurologue bostonienne s'est mise à écrire sans pouvoir s'arrêter. Les idées et les métaphores se bousculaient dans sa tête.

«Dans les bons jours, les idées me réveillaient à 4 h du matin, tentacules de mots qui s'enroulaient autour de moi comme un parfum capiteux», écrit-elle dans son livre The Midnight Disease. «Dans les mauvais jours, les mots étaient comme une demeure charnelle où je cherchais les cadavres des gens que j'aimais.»

Après quelques mois de ce régime, un collègue a suggéré qu'elle faisait une dépression post-partum doublée d'une manie. Des médicaments contre la maniacodépression l'ont progressivement calmée et elle a cessé d'écrire. Puis, elle a diminué la dose et a trouvé un équilibre lui permettant d'avoir accès à sa muse intérieure sans sombrer dans la folie. Son essai sur son expérience, The Midnight Disease, l'a menée à entamer d'autres projets littéraires, dont un seul, une fable pour enfants sur le monstre du Loch Ness, a vu le jour.

La Dre Flaherty, qui enseigne à Harvard, n'est pas la seule à témoigner de l'influence de la maladie mentale sur sa carrière d'écrivain. La plus célèbre est Kay Jamison, une psychologue de l'Université Cornell qui a publié depuis 15 ans une demi-douzaine de romans et de récits autobiographiques autour du thème de la folie et de sa propre maniacodépression. L'an dernier, un écrivain britannique, Brian Dillon, a publié The Hypochondriacs, une biographie de neuf grands écrivains ayant souffert d'hypocondrie, un trouble qui l'a longtemps affecté.

«L'hypocondrie a été au XIXe siècle en Angleterre un symbole d'hypersensibilité», explique M. Dillon en entrevue de Londres. «Emily Brontë y faisait souvent référence. D'un point de vue plus contemporain, l'hypocondrie est une exacerbation de la conscience de soi. Il y a un parallèle évident avec les écrivains, qui doivent écouter leur propre créativité intérieure, être centrés sur eux-mêmes pour faire avancer leur oeuvre.»

Plus fréquente

La maniacodépression est cinq à six fois plus fréquente chez les écrivains, indique la psychologue Jamison, qui a révélé sa maladie en 1995 dans son autobiographie An Unquiet Mind. «Il est bien établi que ce n'est pas le mode de vie de l'écrivain qui le pousse vers la maladie mentale», explique-t-elle en entrevue de New York. «Il y a aussi plus de maniacodépression dans la famille des écrivains. Cela dit, il est également vrai que quand on souffre de cette maladie, il est plus difficile d'avoir un métier traditionnel avec des horaires.»

Quand les premiers livres de Mme Jamison sont parus, des associations de victimes de la maniacodépression se sont élevées contre ce qu'elles considéraient une tentative de minimiser les affres de la maladie. «La maniacodépression est horriblement débilitante, confirme la Dre Flaherty. Seules les personnes qui ont des versions légères de la maladie peuvent bénéficier d'une plus grande créativité. Personnellement, je ne vivrais pas sans mes médicaments, je ne pourrais pas travailler dans mon laboratoire ni écrire.»

Brian Dillon est lui aussi plus productif depuis qu'il a pris le contrôle sur son hypocondrie. «La maladie m'a aidé dans ma réflexion sur le point de rencontre entre l'expérience physique et les idées artistiques, où le corps rencontre la culture. Je travaille présentement sur la nostalgie, qui était considérée comme une maladie organique jusqu'au XIXe siècle. Mais pour tirer profit de l'hypocondrie, il faut la gérer, la mettre en scène.»

La psychologue Jamison ajoute qu'une fois la souffrance mentale endiguée, l'écriture peut aider à la contrôler. «Beaucoup de grands écrivains, comme Graham Greene ou Lord Byron, ont dit que sans l'écriture, ils auraient beaucoup plus souffert. Aristote affirmait même que la mélancolie semblait une condition nécessaire pour devenir un grand philosophe.»

 

Des écrivains maniacodépressifs...

> Hans Christian Andersen

> Honoré de Balzac

> Francis Scott Fitzgerald

> Nicolaï Gogol

> Maxim Gorki

> Graham Greene

> Ernest Hemingway

> Herman Hesse

> Henrik Ibsen

> Henry James

> Mark Twain

> Joseph Conrad

> Charles Dickens

> Herman Melville

> Robert Louis Stevenson

> August Strindberg

> Léon Tolstoï

> Ivan Tourgueniev

> Tennessee Williams

> Mary Wollstonecraft

> Virginia Woolf

> Émile Zola

Source: Kay Jamison, Touched With Fire

... ou hypocondriaques

> Marcel Proust

> Charlotte Brontë

> Charles Darwin

> James Boswell

> Florence Nightingale

> Alice James (soeur d'Henry James)

Source: Brian Dillon, The Hypochondriacs