Après avoir révolutionné la télé avec ses Insolences, Alain Stanké a donné à l'édition québécoise un statut international. À 75 ans, ce grand hyperactif se remémore les grandes étapes de sa vie et de sa carrière: on dirait un roman...

Il s'appelle toujours Aloyzas-Vytas Stankevicius. Alain Stanké, pour faire une histoire courte, entreprise toujours difficile quand il s'agit de résumer la vie et l'oeuvre de ce géant hyperactif, journaliste, producteur de télévision et éditeur, des activités qu'il a menées de front pendant plus de 40 ans.

«Je roule à deux carburateurs», nous dira d'emblée M. Stanké, rencontré mardi chez l'éditeur Michel Brûlé où il vient de signer deux livres. Deux livres en trois mois. «Michel m'a harcelé pour écrire Le français a changé ma vie, qui est le premier d'une série thématique» (le deuxième sera L'allemand a changé ma vie, mais Brûlé refuse de dire de qui il s'agit).

Alain Stanké, lui, a appris le français à Paris; sa famille s'y était établie après avoir quitté la Lituanie, où son père avait été directeur de la radio nationale. La guerre, violente Babel, avait aussi amené le grand Aloyzas à apprendre l'allemand et le russe. Et voilà que, arrivé à Montréal en 1951, il doit «s'acclimater» - il ne dit jamais «s'intégrer» - à un pays neuf où l'homme «chauffe son char».

«Quatrième vie»

Cette «quatrième vie» d'Alain Stanké constitue la base de Ceci n'est pas un roman, c'est ma vie! que lance Michel Brûlé cette semaine après en avoir acquis les droits de l'éditeur français l'Archipel. Sur sa deuxième vie, ses années dans un camp de travail allemand, Alain Stanké avait déjà écrit Des barbelés dans ma mémoire (1969). Journaliste à l'hebdo Le Petit Journal en 1957 - il a 20 ans et passe forcément pour un «maudit França» -, Alain Stanké montre déjà ce goût pour le rare et l'inusité et pour le «journalisme vécu» qui le verra se déguiser en robineux, côtoyer incognito des criminels. «Connaissant à peine le pays, sans contacts, je devais me démarquer de mes collègues. Et puis la vie des gens m'a toujours intéressé...»

Tout comme leurs réactions dans des situations... inusitées qu'il exploitera avec humour à la télé dans Les Insolences d'une caméra, une émission qui a révolutionné la télé en 1961 et apporté à son souriant animateur une notoriété instantanée: «Les Insolences ont montré que les Québécois étaient capables de rire d'eux-mêmes.»

Cette même année, Alain Stanké devient éditeur aux Éditions de l'Homme, la maison des «livres à une piasse» dont le succès ne s'est jamais démenti. Dix ans plus tard, il fonde les Éditions La Presse et, en 1975, les Éditions internationales Alain Stanké (propriété de Quebecor depuis 1997). La nouvelle maison prend son envol avec la publication de 90 minutes à Entebbe qui sort quelques semaines après l'historique opération israélienne de sauvetage (4 juillet 1976) de 240 otages dans un aéroport de l'Ouganda. Alain Stanké vient de lancer le «livre instantané»: succès international instantané. Suivront des bios d'artistes et les mémoires du président déchu Richard Nixon, ouvrage qui marquera par ailleurs les débuts du Figaro Magazine. Alain Stanké ne manque plus de contacts mais a toujours peur de manquer d'argent. Montréal, New York, Paris, ce n'est pas un roman, c'est sa vie, racontée ici en 300 pages de «noms» de tous les horizons: Woody Allen, Khadafi, Henry Miller, Castro.

À 75 ans, 2000 titres et des millions plus tard, Alain Stanké croit avoir contribué à «dépoussiérer l'édition québécoise». «J'ai certainement apporté un rythme nouveau à une profession jusque-là un peu pépère.» De son métier préféré - «J'aime quand les gens me parlent de mes livres» -, il abhorre toutefois la dimension subventionnée. Il nous en parlera peut-être dans son 30e livre qu'il pourrait certainement faire porter bien au-delà de l'anecdote.

«J'ai toujours cru que, comme dans n'importe quelle industrie, ça devait être au plus fort la poche!» Ça y est! Alain Stanké veut la mort de l'édition québécoise...

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Ceci n'est pas un roman, c'est ma vie! Alain Stanké. Éditions Michel Brulé, 296 pages, 21,95 $.