Le bonheur parental est-il «photoshopé» comme le corps des mannequins dans les magazines? Biz, membre du groupe rap Loco Locass, aborde sa difficile expérience de la paternité dans un premier roman intitulé Dérives, publié chez Leméac.

Biz a écrit ce court roman d'à peine une centaine de pages du fond de son lit, son radeau, son seul refuge pendant la dépression qui a suivi la fin de la tournée Amour oral de Loco Locass. «Ça s'adresse aux nouveaux pères, ça se lit rapidement entre deux biberons», lance-t-il en riant, visiblement remis de cette sombre période.

À ceux qui seraient tentés de faire un lien entre la découverte de la paternité et la dépression, Biz tient à préciser que son enfant, qui a aujourd'hui 3 ans, est malheureusement né dans «l'oeil du cyclone». Enfant ou pas, ce serait arrivé, croit-il, attribuant son mal à la bipolarité inhérente à tout artiste, qui passe brutalement des feux de la rampe et de l'excitation créatrice à la plate réalité.

De fait, cette bipolarité est présente dans Dérives, qui alterne entre «le marais», une allégorie de la dépression aux accents mythologiques, et des vignettes de la vie quotidienne, ou l'on comprend très bien que le jeune père était incapable de jouir de son nouveau statut, malgré tout l'amour qu'il ressentait pour son enfant.

Depuis quelques années, une nouvelle génération de mères sort du placard et exprime plus ouvertement son désarroi face au fossé qui sépare l'image idyllique de la famille, et ce que cela exige vraiment au jour le jour. On a moins entendu les pères là-dessus, eux qui en sont encore à découvrir les «joies» de la paternité, de plus en plus célébrée. Biz ne se gêne pas, dans son livre et en entrevue, pour dire qu'il n'a pas du tout «trippé» en changeant des couches. «Socialement, au Québec, on est rendu là, dit-il. On peut parler de ça. Je n'ai pas du tout écrit un pamphlet masculiniste, je ne parle pas au nom de ma génération, mais je me rends compte que beaucoup de gens se retrouvent là-dedans. Les filles sont intéressées par mon livre pour le donner à leurs chums, pour comprendre ce qu'ils vivent ou ce qu'elles ressentent elles aussi. On excuse plus les pères de ne pas «tripper» sur les nouveau-nés; pour une mère, qui le porte, qui l'allaite, ce doit être beaucoup plus heavy comme pression.»

«Moi, ça me fait penser aux filles qui sont écoeurées de voir des mannequins anorexiques dans les magazines. Le décalage entre le corps «photoshopé» d'une fille de 14 ans et ce qu'une femme normale ne pourra jamais atteindre. Eh bien, il y a un décalage entre le marketing de la parentalité et ce que c'est au quotidien. Dans les magazines, je voyais des pères aux dents blanches, heureux, pas de cernes... C'est comme une annonce de bière, mais avec des enfants! Ce n'est pas ça du tout ce que j'ai vécu!»

Se projeter dans l'avenir

Tout de même, une fois retombé sur ses pattes, et après avoir exorcisé tout cela dans un livre, Biz se réjouit du baby-boom actuel au Québec. La preuve, c'est qu'il aura un enfant.

«Je suis très content de voir que ma génération se remet à faire des enfants. Avant nous, on en faisait un au maximum, mais là, c'est deux minimum, et trois, parfois quatre. Au Québec, un moment donné, on ne se reproduisait plus et on se suicidait. Cela voulait dire qu'on ne voulait pas se prolonger dans l'avenir. Là, nous avons une génération qui veut des enfants, et qui les impose aussi. On voit de plus en plus de musiciens traîner leurs enfants aux tests de son, les gens ne veulent plus travailler 70 heures par semaine, parce qu'ils veulent être avec leur famille. Je crois que les enfants vont faire imploser le mode de vie individualiste, c'est la seule façon de démolir ce système de surconsommation et de rapidité.»

Pour Biz, il fait bon faire des enfants au Québec ces temps-ci, notamment avec les généreux programmes de congés parentaux, mais le rappeur engagé n'est jamais loin: il estime qu'il serait temps qu'on se penche sur le trafic des permis de garderies. «Parce qu'après l'asphalte, c'est là que la mafia est rendue!»

Cette première expérience d'écriture romanesque, où il a dû apprendre à se «calmer la rime» selon les conseils de son éditeur Jean Barbe, lui a donné le goût de poursuivre dans cette voie. Biz a déjà un deuxième projet de roman, qui prendra la forme d'un blogue écrit par un adolescent. Les trop rares albums de Loco Locass - Amour oral remonte à 2004 - lui donnent amplement le temps d'écrire. Mais il le promet: le prochain album des Loco, c'est pour 2010!

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Dérives. Biz. Leméac, 94 pages, 11,95 $.