J.D. Salinger, décédé mercredi à l'âge de 91 ans, avait le goût du secret. Le coffre aux manuscrits sur lequel fantasment fervents lecteurs et éditeurs avides est un mystère plus insondable encore que la personnalité du défunt.

Ce coffre-fort existe-t-il seulement? Si oui, que contient-il ? Notes éparses, ébauches, élucubrations, chef-d'oeuvre caché? Et s'il contient quelque chose de valeur, ses ayants droit seront-ils disposés à publier?

L'agent littéraire de l'écrivain, Phyllis Westberg, ne fait pas de commentaires. Son éditeur Little, Brown and Co. assure qu'il n'y a pas de projet de publication. Marcia B. Paul, qui fut son avocate lorsque Salinger s'opposa l'an dernier à la publication d'une suite à L'attrape-coeurs, ne décrochait pas son téléphone jeudi.

Matt Salinger, son fils, renvoie pour toute question à Phyllis Westberg.

La «légende» du coffre au trésor a plus de dix ans. Alors que l'écrivain ne publiait plus depuis 1965, un de ses voisins à Cornish, Jerry Burt, a rapporté en 1999 cette confidence que lui avait faite Salinger : il avait écrit au moins 15 livres, jamais publiés, qui se trouvaient sous clé dans un coffre, chez lui.

Joyce Maynard, écrivain et ancienne petite amie de Salinger, assurait pour sa part qu'il écrivait tous les jours, et qu'il avait terminé au moins deux romans.

Sa fille Margaret Salinger évoque les habitudes de l'écrivain reclus avec plus de détails encore, dans ses mémoires intitulés L'attrape-rêves, publiés en 2000. En prévision du jour de sa mort, il avait inventé un code couleur pour ses manuscrits. Rouge: publiable en l'état. Bleu: travail d'édition nécessaire.

«J'adore écrire et je vous assure que j'écris régulièrement (...) Mais j'écris pour moi, pour mon propre plaisir», disait l'auteur en 1980, 15 ans après la parution dans The New Yorker de la nouvelle Hapworth 16, 1924, point final de la partie émergée de son oeuvre.

L'écrivain Jay McInerney, dont le premier roman Bright Lights, Big City (Journal d'un oiseau de nuit en français) l'a propulsé sur le devant de la scène littéraire en 1984, n'est pas un adorateur de cette nouvelle. Il est aussi sceptique quant au contenu du coffre aux trésors.

«Il y a sans doute des tas de choses là-dedans, mais à mon avis ce n'est pas ce qu'on espère, dit-il. «Hapworth» n'était pas une fiction traditionnelle, ni particulièrement satisfaisante. C'était un monologue épistolaire insensé, mal défini, informe. A mon avis, tout ce qu'il a écrit sur le tard est dans cette veine», spécule-t-il.

La romancière américaine Curtis Sittenfeld, remarquée pour son roman Prep (Campus en français) en 2005, a moins de réserves. «J'ai hâte de savoir ce qu'on va trouver !, s'enthousiasme-t-elle. À notre époque où chacun pratique l'autopromotion sans vergogne, il est extraordinaire de penser que quelqu'un écrivait pour le seul plaisir d'écrire», dit-elle.

Et le monde littéraire de se prendre à rêver d'une découverte de l'ampleur de celle du Procès de Kafka, manuscrit incomplet trouvé après sa mort, publié en dépit des instructions qu'il avait laissées pour qu'on le détruise.

Reste à savoir si ses ayants droit voudront déjuger Salinger, l'homme qui trouvait que «ne pas publier procurait une paix immense».