Les premiers romans en disent beaucoup, trop, beaucoup trop. Qu'est-ce qu'on y trouve? Des histoires aux infinies ramifications; pour faire «littéraire», des métaphores d'une désolante naïveté; des dialogues inutiles; enfin, d'innombrables épithètes.

La femme fragment n'échappe pas à ces boursouflures, si c'en sont: peut-être des lecteurs aiment-ils trouver, au coeur d'un discours amoureux criant de juste vérité, une aussi affligeante image: «Ainsi se tissaient les attaches de ma toile aux charpentes de sa passion.» Il n'empêche que l'irritation s'use au fil des pages, plus de 400, et qu'on finit par s'attacher au destin de la protagoniste et narratrice, Caroline.

Elle veut comprendre, et expier dit-elle, car péché et rédemption sont des mots clés de son lexique, un passé qui l'aurait faite inapte au bonheur. Père aimant, vétéran de la Deuxième Guerre mondiale, poète et jardinier, misanthrope et laid à faire peur, il a accueilli, par humanité, une femme qui a fui un mari violent. Celle-ci le contraint presque à lui faire un enfant, ce sera Caroline. Dès qu'elle naît, la mère disparaît. Le père paterne comme il convient, mais quand la jeune fille a grandi, elle s'en va sans qu'il cherche à la retenir. D'un amant à l'autre, ceux qui la quittent et ceux qu'elle quitte, elle n'en finit plus de chercher du côté de sa mère fantôme (et criminelle) le fatum qu'elle lui aurait légué.

Côté recherches, les péripéties ne manquent pas. Caroline se découvrira même un demi-oncle juif montréalais, qu'elle enrôlera dans son aventure. Côté amants, le désastre est total. Les premiers se lassent d'elle, qui entre nous n'est pas une compagne de tout repos, les derniers finissent par démériter, l'un parce qu'il n'a pas risqué sa vie pour la sauver de la noyade (un maître nageur s'en occupait), l'autre parce qu'il est maladivement jaloux. Apparaît enfin, dernier mot du dernier paragraphe, un certain Mathieu suivi de points de suspension...

Dans les romans féminins, amour et bonheur sont souvent les termes d'une nécessaire équation. Les gens désabusés peuvent penser que le lien est forcé, c'est leur affaire. Danielle Dumais a réussi, malgré son inexpérience flagrante, à cerner avec précision et aussi avec ferveur les hauts et les bas de l'existence de Caroline. Elle a usé de moyens efficaces, par exemple la narration de mêmes événements par des protagonistes successifs, pour creuser sous la surface des sensations et des passions. Il n'en fallait pas plus pour sauver une oeuvre trop bavarde, certes, mais convaincante.

LA FEMME FRAGMENT

Danielle Dumais

Québec Amérique, 420 pages. 22,95$

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