Le biographie Pierre Assouline s'est replongé dans 200 romans et 40 mètres d'archives pour cet autodictionnaire du «Balzac du XXe siècle «, Georges Simenon.

Retour sur les lieux du crime. Après la monumentale biographie qu'il lui avait consacrée en 1992, Pierre Assouline a entrepris de régler son compte définitif à Simenon, ce monstre littéraire du siècle dernier, mort il y a tout juste 20 ans. Avec un «Autodictionnaire» de plus de 800 pages où, longue intro mise à part, tous les sujets et articles sont signés du père du commissaire Maigret.

Assouline n'est pas du genre à faire les choses à moitié. Quel que soit son sujet - Dassault, Kahnweilwer, Hergé etc. -, on peut être sûr que toutes les archives disponibles ont été passées au peigne fin. Dans le cas de Simenon, l'immersion fut totale et dura plus d'une année à l'époque.

«J'ai vu Simenon pour la seule fois de ma vie au mois de juin 1989, raconte Pierre Assouline en interview. Il était déjà malade. J'avais été en correspondance avec lui depuis mon livre de 1984 sur Gallimard, pour lequel je l'avais interviewé par écrit. Quand je l'ai vu, je lui ai dit que je voulais faire avec lui l'équivalent de cette biographie.

«Il m'a dit: voici mes archives, elles sont à vous et vous écrirez ce que vous voulez. Tout était classé par année. Il y en avait 40 mètres linéaires: vieux articles de presse, correspondance, écrits personnels, schémas de romans, brouillons. Trois mois après notre rencontre, il était mort. Mais sa compagne Teresa et sa secrétaire ont respecté sa volonté et j'ai mis la main sur un trésor fabuleux.»

Vingt ans plus tard, il a refait le parcours pendant une année entière. Pour constater que Simenon est un étonnant monument: «Les romans patronymiques sont à eux seuls au nombre de 200 et font 25 gros volumes aux éditions Omnibus. À quoi il faut ajouter 200 petits romans peu intéressants publiés sous pseudonyme, et les Dictées (au magnétophone) de ses toutes dernières années. J'ai aussi relu la correspondance, les interviews majeures pour la radio et la télé...»

Pour Pierre Assouline, Georges Simenon est d'abord évidemment un phénomène littéraire: «Entre 1931 et 1974, il a publié une moyenne de cinq romans par année. Mais en 1938, on en dénombre treize! Simenon écrivait le matin, à la machine, à partir de notes griffonnées. Il faisait un chapitre par jour, et leur nombre a varié: selon le cas, il écrivait donc un roman en sept, neuf ou onze jours. Puis, il raturait un peu, supprimait tous les adverbes et adjectifs qui n'étaient pas indispensables. Il avait du style, simple et direct, et n'aimait surtout pas faire du style.»

Qu'est-ce qui faisait courir Simenon? Sans doute un appétit de pouvoir, le goût de la célébrité, et aussi le désir éperdu d'épater sa mère, qui lui préférait son frère Christian et ne le prenait pas au sérieux. «Et puis, tout simplement, dit Assouline, il était habité par ses personnages, par ce monde noir qu'il décrivait. Écrire le mettait en transe. C'est ce qu'il a fait tous les jours pendant 33 ans. Et puis, un beau matin de 1973, il a sorti ses notes griffonnées, mis du papier sur sa machine à écrire... et rien n'est venu. Au bout d'une heure, il a rangé tout son matériel et a cessé d'écrire...»

Simenon, victime de son triomphe mondial? C'est ce que suggère Assouline. Quand on regarde la filmographie inspirée de ses romans, on est stupéfait: Le chat de Granier-Defferre, Betty de Chabrol, La vérité sur bébé Donge d'Henri Decoin... Une cinquantaine de longs métrages, souvent célèbres, certains allemands ou américains. Sans compter les innombrables versions télévisées des Maigret.

«On a tellement vu Simenon sur l'écran, dit Assouline, que finalement beaucoup de gens ont renoncé à le lire, comme s'ils le connaissaient déjà. Et les Maigret ont «tué» les romans purs qu'il écrivait par ailleurs, comme Pedigree (1948), qui est sans doute son chef-d'oeuvre. Faut-il rappeler qu'André Gide et Fellini, entre autres, avaient le plus grand respect pour lui? Sa réputation d'auteur de polar lui a coûté un Goncourt, ou l'Académie française. Et pour la postérité, la gloire de Maigret obscurcit celle de son géniteur.»

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Autodictionnaire Simenon. Pierre Assouline. Omnibus, 609 pages, 41,95 $.