Pour sa première venue au Québec en tant qu'invité d'honneur du Salon du livre de Montréal, Tonino Benacquista est accompagné de son ami Daniel Pennac, avec qui il vient tout juste de terminer un projet sur Lucky Luke. Les rumeurs voulant que Benacquista soit terrorisé par l'avion sont fausses, disent-ils. Simplement, ils s'étaient promis de faire ce voyage ensemble. Avant de se lancer dans l'arène du salon pour signer leurs livres, ils parlent de la richesse d'une amitié faite de franchise et d'observation.

Q : Pourquoi Benaquista tenait-il à être escorté par son ami Pennac?

R : Daniel Pennac: Mettons les choses au point tout de suite. Tonino a vécu plus longtemps en me connaissant que sans me connaître et moi, je vais bientôt atteindre ce cap. On est inséparables, mais Tonino n'a pas besoin d'escorte... Il a sa fiancée et j'ai la mienne!

Tonino Benacquista: Il se trouve que pendant longtemps, je ne suis pratiquement pas sorti de Paris. Je n'ai pas peur de l'avion. Je n'étais pas à l'aise de voyager. Daniel a été un de ceux qui m'ont aidé à sortir. J'avais été invité au Québec il y a une quinzaine d'années, mais je n'avais pas pu venir et on s'était dit que symboliquement, un de mes premiers voyages serait ici, avec Daniel.

Q : Comment êtes-vous devenus inséparables?

R : T.B.: On s'est croisés il y a exactement 30 ans, quand Daniel élaborait ce qui allait devenir les Malaussène. Moi, je voulais à tout prix entrer dans la Série Noire de Gallimard. On avait des amis communs, mais aussi après, on a été publiés dans la même maison. D.P.: J'ai eu la chance d'aimer ses livres. Quand un ami écrit, c'est une chance parce que s'il écrit des livres que vous n'aimez pas, vous êtes dans la merde!

Q : Vous lisez-vous l'un l'autre? Qu'est-ce que vous admirez chez l'autre?

R : T.B.: On se parle de nos projets à venir, parce qu'on a confiance. C'est assez rassurant de savoir qu'on a un interlocuteur qui a en gros les mêmes préoccupations. Je considère que Daniel est un des très rares stylistes français. J'admire sa rigueur, son style travaillé, élégant.

D.P.: On se soumet toujours ce qu'on fait et on ne se fait pas de cadeau. Une fois penché sur le manuscrit de l'autre, on devient technicien. Du point de vue de l'amitié, c'est intéressant d'être critique et ce n'est pas facile. Les gens ont peine à croire que l'un puisse dire à l'autre que ce n'est pas bon, mais on ne se gêne pas! Le regard de l'autre, pour peu qu'il ne soit pas flatteur, mais technique, est un atout. Moi, j'admire l'inventivité de Tonino, ce que j'appelle sa disponibilité permanente à l'invention. Il y a toujours dans ses romans une scène incroyable, l'acmé du livre, le point où la tension anecdotique est à son comble, mais il ne s'arrête pas là: il continue, va encore plus loin. Par exemple, dans Malavita encore, il y a une scène d'anthologie du repas familial où le père est remplacé par le gars du FBI chargé de le surveiller. Quand j'ai lu cette scène, j'ai dit à Tonino qu'il tenait un sujet de pièce de théâtre incroyable.

T.B.: Notre amitié est précieuse parce que le regard de l'autre nous dévoile ce qu'on ne voyait pas. Dans Les morsures de l'aube (1992), Daniel m'a pointé le personnage du psychanalyste qui doit quitter les États-Unis parce qu'il a eu sur son divan un grand patron de la mafia. Si Daniel ne s'était pas arrêté sur cette scène, je n'en aurais jamais tiré une pièce de théâtre, qui a d'ailleurs été jouée à Montréal (Le contrat).

D.P.: C'était avant les Soprano, la première fois qu'on opposait un psychanalyste et un truand.

Q : Dans son dernier roman, Malavita encore, Benacquista met en scène un ex-mafieux inculte, exilé en France sous une fausse identité et poursuivi par le FBI, qui devient écrivain. Il essaie de se civiliser?

R : T. B.: Je trouvais amusant d'imaginer un personnage qui n'a jamais lu un seul livre et qui veut écrire pour retrouver sa vie de gangster. Il cherche un chef-d'oeuvre à lire et va se taper Moby Dick.

D.P.: Il trouve dans l'écriture le terrain de la vulnérabilité absolue et plonge dans le risque total de la paranoïa et la susceptibilité qui guettent l'apprenti écrivain. C'est un tueur, qui a risqué apparemment beaucoup plus dans sa vie, mais jamais il ne sera plus en danger que derrière sa machine à écrire.»

Enfant du mot, enfant de l'image

Complices dans la vie et réunis dans les collections noire et blanche de Gallimard, les deux amis ont pourtant des parcours très éloignés. Pennac est né dans une bibliothèque, alors que Benacquista s'est nourri de téléséries et de cinéma. Enfant du mot et enfant de l'image, ils ont néanmoins atterri sur le terrain commun du roman et bientôt, nous les retrouverons dans une bande dessinée, soit le prochain Lucky Luke, un projet qu'ils ont pris très au sérieux.

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Daniel Pennac, Chagrin d'école, Gallimard, 2007.


Tonino Benacquista, Malavita encore, Gallimard, 2008.

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Gilles Pellerin anime un face-à-face entre Tonino Benacquista et Daniel Pennac aujourd'hui, 17 h 30, à la Grande Place.