Chaque année, Philip Roth n'arrête pas de ne pas gagner le prix Nobel; l'Académie suédoise ne l'apprécie pas, chuchote-t-on, ou bien n'apprécie pas le roman américain. Qui sait? Je ne suis pas dans le secret des dieux. Par contre, je peux affirmer que cette dernière livraison de Roth va lui mériter encore plus de lecteurs, ce qui est la plus grande récompense pour un écrivain.

Depuis des décennies, Roth nous fait vivre les aventures de Nathan Zuckerman, personnage totémique de l'écrivain, son alter ego. Nous avons connu le Zuckerman mari, amant, professeur, un homme poursuivi par son double et ses diables... Et voilà qu'il fait face à sa pire ennemie: la mort.

 

Au tout début du roman, il est formel: il est incontinent et impuissant. Mais je connais trop bien Roth, le rusé, pour croire en une histoire sans amour. Et, effectivement, Zuckerman, qui rentre à New York après une absence de 11 ans pour une opération censée guérir son incontinence, tombe directement dans le maelström des sentiments et des possibilités de cette ville. Au point où, par une sorte de caprice, il décide d'y rester, troquant sa maison à la campagne pour un appartement.

Et là, tout se complique. Il tombe amoureux de Jamie, une jeune femme mariée avec qui il fait cet échange de résidences. Commence une série de dialogues entre la jeunesse et la vieillesse, la beauté et la décrépitude, l'avenir et le passé. Mais ce n'est que le début. Kliman, l'ancien copain de Jamie, cherche à écrire la biographie d'E.-I. Lonoff, l'écrivain qui fut le mentor de Zuckerman. Lonoff est mort; il ne reste que des témoins comme Zuckerman, et Kliman tourne autour de lui comme un vautour.

Il reste un autre témoin: Amy Bellette, la maîtresse de Lonoff, devenue sa femme par la suite. Kliman s'acharne sur ces deux vieilles personnes, essayant de soutirer quelques secrets ou un vieux manuscrit, n'importe quoi pour hausser sa réputation de détective littéraire. Zuckerman, lui, lutte pour protéger le nom de Lonoff et l'intimité d'Amy, qui souffre d'une tumeur au cerveau. La bataille générationnelle n'a jamais été si féroce.

En voulant protéger la réputation de Lonoff, Zuckerman cherche à rendre hommage à celui qui l'a aidé à s'épanouir; il protège le nom du père, en quelque sorte. Roth revient à un thème qui lui est cher: l'écrivain dévoré par ses lecteurs (et ses lectrices), par un public affamé de scandales. Pour Jamie, la jeunesse, la beauté, Zuckermamn ressent une adoration quasi mystique. Pour Kliman, il n'y a que de la haine.

À la toute fin, Zuckerman donne rendez-vous à Jamie dans une chambre d'hôtel, grand style. La mécanique de la séduction est prête - mais n'oublions pas l'incapacité du vieux Zuckerman. Par ce jeu de vouloir et de pouvoir, Roth nous donne une habile et élégante méditation sur le fait de vieillir.

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Exit le fantôme. Philip Roth, traduit par Marie-Claire Pasquier. Gallimard, 327 pages, 32, 95 $.