Après un rendez-vous reporté parce qu'il est devenu père d'un petit garçon, lundi dernier, Patrick Drolet se présente pour parler de son autre nouveau-né: son premier roman. «Ça me fait deux naissances: une plus rayonnante et l'autre plus sombre», annonce l'auteur de ce roman, plutôt noir, sur le souvenir.

M'informant de l'accord possible entre le métier d'écrivain et celui d'acteur, surtout pour quelqu'un qui ne chôme pas - on l'a vu récemment au cinéma dans La neuvaine et à la télé dans Les invincibles -, je suis vite mise au fait que Patrick Drolet se définit comme «un auteur qui gagne sa vie en jouant». Sans dénigrer son métier d'acteur, loin de là, le comédien écrit effectivement depuis longtemps, pour le théâtre, surtout, mais il a aussi publié l'an dernier un recueil poétique Un souvenir ainsi qu'un corps solide ont plusieurs tons de noirceur (Éditions les 400 coups). «L'écriture a toujours fait partie de ma vie», me confie celui qui apprécie la solitude du geste d'écrire, un geste paisible qui contraste définitivement avec les plateaux de tournage. «Après l'écriture théâtrale, le roman m'a permis de travailler seul. Ça a été difficile et plaisant en même temps. Dans la solitude, il y a quelque chose d'angoissant, mais de très vivant aussi.»

J'ai eu peur d'un quartier autrefois traite justement de la vie d'un solitaire, hanté par des morts, des psychopathes, sous effluves d'alcool, de cigarette et de vertiges sensoriels. Un homme, enfermé dans son appartement, épie ses voisins et cherche un chemin vers son passé. Témoin de la mort d'un voisin éventré et de l'arrivée de l'ombre cannibale, le narrateur va finir par sortir de chez lui, quitter son quartier et retourner au collège de son enfance, à la recherche du père Fulton, décédé en Haïti quelques années auparavant. «La maison du voisin qui devient le gîte de l'ombre cannibale est un prétexte, une fabulation, des bribes de mémoire du personnage. J'avais envie de prendre l'appartement comme un cocon et de me demander ce qu'on devient quand on n'est plus capable d'en sortir. On reste seul avec nos souvenirs qui divaguent.»

Avec comme motivation première de parler de la peur d'oublier, le livre traite des souvenirs qu'on croit banals mais que la vie nous renvoie au visage. «Mon personnage reçoit des baffes, du matin au soir. Il n'a pas de répit.» En une sorte de déambulation intérieure, le lecteur voyage au coeur des souvenirs épars de cet être hypersensible qui reçoit tous les petits coups de la vie comme des déflagrations atomiques. «C'est comme un scout qui a tous les sens ouverts, prêt à tout. C'est toujours dans le tapis. Ce personnage pense qu'il a un contrôle, mais il n'en a absolument pas.» Le personnage va, par exemple, au contact de sa peau sur le capot d'une voiture être aspiré par son histoire. «Il veut sortir de lui, mais c'est trop lourd dans sa tête.»

Frapper les images et les corps

À partir de la forte charge émotive qui incombe aux personnages hantés par leurs souvenirs, Patrick Drolet s'est visiblement amusé à leur faire vivre des tas d'expériences sensorielles et d'épreuves physiques. «Je prends une image et un corps humain et j'essaie de les frapper ensemble, j'essaie de trouver comment l'image résonne sur le corps, le transforme.» Les objets et les choses ont aussi une large place dans l'univers de Patrick Drolet. Les portes aimeraient pleurer et les voitures déversent leurs souvenirs. «Ces objets ont été manipulés par quelqu'un, alors ils ont une histoire, une âme. J'aime cette idée d'un objet comme un prolongement du corps.»

Sur son chemin, le narrateur rencontre entre autres des frères de son ancien collège, un lieu que l'auteur a lui-même fréquenté comme pensionnaire. La religion occupe d'ailleurs une place importante dans le roman de Drolet. «Je suis non-croyant et non-pratiquant, mais j'ai eu une éducation religieuse et j'ai une fascination pour ceux qui choisissent de se consacrer à un Dieu absent et attendent des réponses qui vont venir par le coeur, la pensée, l'étude des écrits religieux. Je suis fasciné par la solitude des moines.» Tiens donc! La solitude, toujours la solitude. Il est peu banal cet acteur féru d'isolement, mais entre la noire méditation et la gymnastique du coeur, son roman aussi est fait de matière hybride et d'histoires peu ordinaires. Avis aux curieux d'aventures insolites.

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Patrick Drolet. J'ai eu peur d'un quartier autrefois. Hurtubise, 112 pages, 18,95 $.