En Norman Bethune, Adrienne Clarkson a trouvé l'essence du Canadien altruiste et internationaliste avant la lettre.

Sur le bureau de John Ralston Saul, Adrienne Clarkson a vu la liste des «Extraordinary Canadians» et des auteurs de la série, lancée l'an dernier chez Penguin Books par son éminent mari. Aucun nom n'apparaissait à côté de celui de Norman Bethune...

Et c'est ainsi, raconte l'ancienne gouverneure générale du Canada, qu'elle en est venue à écrire sa première biographie, qui vient de sortir en traduction chez Boréal. En même temps que le René Lévesque de Daniel Poliquin et le Pierre Elliott Trudeau de Nino Ricci. René Lévesque en Canadien extraordinaire? «Il a fait du Canada un endroit plus intéressant, sinon meilleur», écrit sur son site (www.johnralstonsaul.com) le philosophe et essayiste, auteur entre autres de Mon pays métis.

 

Médecin, artiste, communiste, tombeur, Norman Bethune (1890-1939) voulait, lui, faire du monde entier un endroit meilleur. D'abord en soignant les pauvres gens et en clamant que «la santé est toujours publique». Puis en se joignant, toujours comme médecin, au combat contre le fascisme, tant en Espagne qu'en Chine où Mao lui-même l'a sacré héros national.

«Il a fait tout ce qu'il a pu, a tout donné, jusqu'à sa vie, à la poursuite de son idéal. C'est ce qui fait de lui le Canadien le plus extraordinaire de tous», répond Adrienne Clarkson, une Canadienne originaire de Hong Kong, quand on lui demande de définir la «canadianité» de Bethune. Fils d'un pasteur presbytérien, ce surdoué souvent imbuvable a été travailleur-enseignant dans les chantiers du nord de l'Ontario avant de connaître la vie plus aisée - pour un éminent médecin spécialiste - du Montréal des années 30.

L'extravagant Béthune, qui «se croyait supérieur à tout le monde», dira un des ses patrons, atteignit le sommet de sa renommée comme spécialiste de la chirurgie thoracique alors qu'il travaillait à l'hôpital Royal Victoria, attaché à McGill où il enseignait. Il passa ensuite (1932) à l'hôpital Sacré-Coeur de Cartierville, francophone et catholique; là, il s'acharna à «faire comprendre au public et aux autorités le lien entre la pauvreté et la maladie». C'est là l'essence de son engagement social, selon Adrienne Clarkson: «Il disait qu'il y avait deux sortes de tuberculose», maladie dont il était lui-même atteint. «La tuberculose des pauvres, mortelle, et celle des riches, qui se soignait...»

Devenu membre du parti communiste (interdit au Canada) en 1935, Bethune s'embarque bientôt pour l'Espagne, déchirée par la guerre civile, où s'affrontent, d'un côté, les troupes de Franco et ses alliés fascistes italiens et allemands et, de l'autre, les milices du Frente popular démocratiquement élu, auxquelles se joignent des militants et supporteurs d'une cinquantaine de pays. Dont quelque 1500 Canadiens. Norman Bethune, qui s'y connaît pourtant peu, met vite sur pied des unités mobiles de transfusion sanguine, un apport historique à la médecine de guerre. Pour sa biographe, Bethune n'a jamais été un soldat: «Il a participé à des guerres pour sauver des vies.»

Il ne restera en Espagne que huit mois. Aussitôt revenu à Montréal - en héros -, Bethune repart pour la Chine, immense et lointain pays qui, en plus de la guerre civile qui oppose les nationalistes de Chiang Kaï-shek et les communistes de Mao Zedong, doit repousser l'assaut du Japon. Dès son arrivée, Bethune rencontre Mao, qui lui trouve une ressemblance avec Lénine...

«Conseiller médical» de la 8e Armée de la route, une formation de 200 000 hommes, qui ne compte que cinq médecins, Bethune forme des médecins (en un an) et des infirmiers, supervise les ambulances de campagne dans lesquelles il procède lui-même à des milliers d'opérations. Sans gants, parce qu'il n'y en a pas. À l'automne de 1939, il se coupe trois fois aux doigts et, affaibli par le surmenage et la sous-alimentation, il contracte la septicémie qui l'emporte le 12 novembre.

Au front, soignant les soldats des forces du Bien, Norman Bethune avait trouvé son «ultime accomplissement». Pour Adrienne Clarkson, il reste le Canadien «le plus extraordinaire de tous».

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NORMAN BETHUNE. Adrienne Clarkson. Boréal, Traduit par Jean Paré, 175 pages, 17,95 $.