Dany Laferrière fait partie de la «minorité visible»; celle, au Québec, des écrivains vedettes qui peuvent vivre de leur plume. Seize ans après Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer, il est aujourd'hui une figure connue du grand public, un écrivain à succès, qui a complété «son» tour du chapeau : 10 romans publiés entre 1985 et 2000 forment ce qu'il appelle son «Autobiographie américaine».

Un recueil d'entretiens, J'écris comme je vis (Lanctôt éditeur), retrace le parcours de cet auteur d'origine haïtienne, farouchement apatride, qui a choisi le Québec pour faire sa marque en ce bas monde dont il jouit sans vergogne. Pour la troisième année consécutive, il est le porte-parole de la Journée mondiale du livre, célébrée le 23 avril dans 80 pays.Dany Laferrière est un homme sans projet, aujourd'hui. Ce qu'il nomme le rêve. «Depuis cinq mois, je ne pense à rien, dit-il. Je suis là, je lis, je regarde, je marche. J'ai travaillé beaucoup ces 15 dernières années et pas seulement en littérature, mais aussi à la télé et dans les voyages. Ça a été des mouvements très intenses, ces dernières années.»

Laferrière a toujours voulu vivre la vie d'un prince, non pas celle du prince Charles, mais une vie sans code, sans étiquette et sans obligation.

«Depuis très jeune, j'ai toujours été impressionné par le dandy; pas celui qui s'habille bien, le dandy à la Oscar Wilde, par exemple, ce qui est un sorte de maniérisme. Plutôt le dandy du naturel. Celui qui est assez libre pour être lui-même et non celui qui est un personnage un peu maniéré, original. Je n'aime pas l'originalité. Il y a une phrase extraordinaire sur l'originalité: «L'originalité, c'est quand on essaie de faire comme tout le monde, sans y parvenir.» L'original, c'est quelqu'un qui ne veut rien faire de spécial, mais qui est spécial.»

Il y a très longtemps, Dany Laferrière a décidé de ne pas travailler. «Je me souviens, lorsque j'ai commencé à avoir un certain succès à la télé, on m'a proposé un travail très bien payé. On m'offrait 200 000 $. Je me suis dit:

"Si je prends ça, je suis foutu." J'ai tout quitté tout de suite et je suis allé à Miami. J'écris des livres, les livres rapportent, je suis traduit, je peux faire un scénario de film, on fait un film avec un livre, et puis je passe à la télévision, on vous donne des petits chèques et je vis de ça. C'est-à-dire de l'écume, pas du capital. Pas de salaire fixe et solide. J'ai toujours vécu de ça. Avant, c'était l'usine.»

C'est ainsi que Dany Laferrière effectue des va-et-vient fréquents entre le Québec et Miami. Ici, il fait la promotion de ses livres, signe une chronique à l'émission Cent titres, à Télé-Québec, accepte les interviews, participe à des colloques, retrouve les copains et copines. «Souvent, dès que j'arrive au Québec, je cours à une émission de radio ou de télé. Je n'arrive pas à passer incognito et mes copains savent tout de suite que je suis en ville. Alors, si je ne les appelle pas, c'est la fin du monde. Il y a quand même un plaisir à être dans sa propre ville dans une chambre d'hôtel. Un touriste chez lui.» Sa figure est tellement connue au Québec qu'au moins trois personnes l'ont montré du doigt pendant notre courte promenade au centre-ville...

Quand il est à Miami, il se la «dérive douce» (pour emprunter au titre d'un de ses livres, Chroniques de la dérive douce). «Je me lève. Je n'écris plus, je ne lis plus... Je relis plutôt. Je lis le matin, le soir. Ce sont les

mêmes: Borges, Gombrowitz, Voltaire, Diderot, Baldwin. Et puis après, je m'occupe de mes filles, dont l'une est à l'université. Je fais le petit-déjeuner pour toute la famille. Je les amène à l'école et ensuite, je marche autour d'un lac qui est près de chez moi, en pensant, en réfléchissant, en rêvant. Avant, je le faisais en rêvant de la page de la journée que j'aurais à écrire, mais maintenant, je fais comme un retraité. Je regarde autour de moi, je regarde les oiseaux.»

À 48 ans, l'écrivain se dit fatigué. Il a d'ailleurs signé un court texte publié en Europe sous le titre Je suis fatigué (publié au Québec à 5000 exemplaires et distribué gratuitement dans les cégeps pour la Journée mondiale du livre, lundi prochain).

«Ce n'est pas seulement que je sois fatigué, c'est que j'ai fini d'écrire. Je voulais écrire un livre, une Autobiographie américaine, et c'est fait.»

Puis, il revient chez lui, fait encore à manger avant de lire dans son endroit préféré, la baignoire. «Je reçois beaucoup d'appels, de fax, de courriels... Je suis le centre du monde chez moi. Je continue à être ce que je n'ai jamais cessé d'être. Avant d'écrire ces livres, j'étais ce que je suis. J'avais ces livres en moi avant de les écrire. Il a fallu donner des preuves, j'ai écrit. Voilà, c'est fait.»

Qui de mieux qu'un dandy oisif et heureux pouvait devenir le porte-parole de la Journée mondiale du livre?

«J'adore être le porte-parole de cet événement parce que je suis un lecteur passionné.» Après tout, la lecture n'a jamais été pour les gens pressés...

Ce que Dany Laferrière n'est manifestement pas!

Le carnet de Dany Laferrière

- À Montréal, il va à la librairie du Square, au 3453, rue Saint-Denis. Tél.: (514) 845-7617.

- Il fréquente aussi le café Les Gâteries, au 3443, rue Saint-Denis. Tél.: (514) 843-6235.

- Son hôtel? Le Café Thélème, située au 311, rue Ontario Est. Tél.: (514) 845-7932. «C'est là où je descends tout le temps depuis très longtemps. C'est un petit hôtel que j'aime beaucoup et j'aime les gens qui sont là. Je descends toujours à la même chambre, la chambre 12. Je le dis toujours aux jeunes filles. La porte est toujours ouverte, naturellement... »

- À Miami, son restaurant est le Tap Tap Haïtien, au 819, 5th Street, Miami Beach. Tél.: (305) 672-2898. «C'est un magnifique restaurant où je n'oublie jamais d'amener mes amis de passage à Miami. Les murs comme les tables sont décorés de peintures haïtiennes. On a l'impression de bouger dans un musée vivant.»

- Toujours à Miami, il va à la librairie Mapou, au 5919 North East, 2nd Avenue. Tél.: (305) 757-9922. «Des livres en anglais et en français, mais 90% de la collection est constitué de livres haïtiens», précise-t-il.

-Son restaurant est le Cicibon, au 5934 North West, 2nd Avenue. Tél.: (305) 759-2326. «Un petit restaurant assez quelconque mais où l'on voit de grands hommes porter des plateaux de cuisses de poulet frites et des «bananes pesées» sur leurs épaules. Ce poulet et ces «bananes pesées» sont parmi les meilleurs que j'ai mangés et le prix est très bas. On y sert une boisson gazeuse haïtienne, le Cola Choucoune.»