Héros tragique et méconnu hors de Pologne, Jan Karski, le messager de la résistance polonaise qui tenta d'alerter l'Occident sur l'extermination des Juifs par l'Allemagne nazie et appela à agir, voit sa mémoire resurgir dans un roman.

«Jan Karski, pour moi, c'est un grand personnage du XXe siècle, c'est l'un des héros secrets du XXe siècle», a déclaré à Varsovie Yannick Haenel, l'auteur français du roman Jan Karski, tiré à 65 000 exemplaires en France.

Le messager, mandaté en 1943 par des résistants juifs et le gouvernement polonais en exil, s'est rendu deux fois clandestinement dans le ghetto de Varsovie et a essayé de convaincre les Alliés d'agir pour faire cesser l'Holocauste.

«Il est l'un des très grands témoins, non pas seulement de l'extermination des Juifs d'Europe, non pas seulement de l'abandon de la Pologne par toutes les forces occidentales», a dit M. Haenel, invité d'honneur d'un débat qui a empli à Varsovie cette semaine le hall du siège du grand quotidien polonais Gazeta Wyborcza.

«Mais également de cet arrangement collectif qui fait que quelque chose de proprement dégueulasse, de malsain, d'infâme a eu lieu, pas seulement du côté des nazis ou des Soviétiques, mais également du côté de ce qu'on a appelé le monde libre», a-t-il poursuivi dans un entretien avec l'AFP.

Pour alerter l'Occident, Karski prend des risques énormes en traversant l'Europe occupée, en train, à bicyclette de nuit, à pied à travers les montagnes puis en bateau jusqu'à Gibraltar, avant de gagner Londres puis Washington. Là, il s'entretient avec le président Franklin Roosevelt à la Maison Blanche. Il en sort profondément déçu.

Broyé

Il décrit les atrocités des nazis au juge de la Cour suprême américaine Felix Frankfurter, qui lui dit qu'il ne peut pas le croire. Il parle à la presse, aux dirigeants juifs, ses rapports sont aussi lus par Churchill.

«Des informations sur l'extermination sont parvenues à Roosevelt et aux communautés juives des États-Unis par des voies très diverses, par les services de renseignement juifs, polonais, anglais etc. Les Américains savaient», a dit à l'AFP l'historien Stanislaw Jankowski.

«Le raisonnement des politiques et des militaires était que, pour sauver les Juifs, il fallait d'abord gagner la guerre», a ajouté M. Jankowski, co-auteur de Karski: How One Man Tried to Stop the Holocaust (Karski ou comment un homme a tenté d'arrêter l'Holocauste, ndlr).

Karski restera jusqu'à sa mort en 2000 hanté par le souvenir du ghetto de Varsovie, pris de crises de larmes, broyé par le sentiment de n'avoir su convaincre ni Londres ni Washington.

«Il pleurait, il me disait: est-ce que j'aurais pu faire mieux?, parce que j'ai failli, j'ai failli !», raconte à l'AFP Mathias Vanesse, qui l'a interrogé pendant trois jours à la fin de sa vie pour le service polonais de la BBC.

«Pour moi, c'est un personnage tragique», dit-il.

Karski estimait que le véritable État clandestin développé sur le sol polonais et doté d'une armée de centaines de milliers de résistants avait fait «la preuve de sa compréhension de la tragédie juive», note Ewa Wierzynska, directrice adjointe du Musée de l'Histoire des Juifs de Pologne, en cours de création.

Il «n'avait néanmoins pas d'illusions sur l'antisémitisme, que j'appellerais populaire et que les conditions de l'Occupation n'avaient pas changé» en Pologne, dit-elle à l'AFP.

«Il ne cachait pas que des gens avaient coopéré avec les Allemands dans la Pologne occupée, mais soulignait aussi que les autorités clandestines les punissaient, y compris de la peine de mort, pour ceux qui menaçaient les Juifs cachés de les dénoncer», note M. Jankowski.

Jan Karski, de l'écrivain français Yannick Haenel.