Un roman de piraterie pour adultes par Stéphane Dompierre, reconnu pour ses autofictions piquées d'une ironie mordante... Tiens donc, la maison des Coups de tête réussit à générer d'étonnants contre-emplois, pourrait-on croire. Pourtant, à la lecture de Morlante, on se ravise. Dompierre est bel et bien au rendez-vous. On retrouve sa plume incisive, ses jeux de mots et son humour percutants, mais aussi ses réflexions sur le métier d'écrivain.

«Je n'ai pas l'impression d'avoir fait un virage à 180 degrés», avoue-t-il.Dompierre se révèle particulièrement épanoui dans le genre du roman d'aventures à la troisième personne. «Je parle d'un écrivain et j'aimais le détachement de la narration à la troisième personne. Mes deux premiers romans étaient écrits au «je», à travers le vécu du narrateur et son propre humour, tandis que là, mon humour y est plus pur, parce qu'il n'est pas restreint à un personnage.»

Nullement adepte des romans de piraterie, Dompierre s'est inspiré de sa déception face au genre pour se lancer dans l'aventure. «Je voulais renouveler le roman de piraterie. Le défi était d'écrire le roman que j'aurais aimé lire, dans une forme de littérature que je n'aime pas.»

Fidèle aux principes des Coups de tête, des courts «romans de gare», «percutants et musclés», Morlante ne réprime pas les scènes de violence, de sexualité bestiale et de cruauté, chères aux pirates, certes, mais décrites avec un réalisme proche du cinéma d'aujourd'hui. «Je voulais ramener un réalisme violent actuel», explique Dompierre, qui a choisi de rapatrier les pirates dans notre monde.

Morlante est un écrivain à la réputation de «massacreur de pirates, tueur à gages, violeur de la veuve et de l'orphelin, cannibale». «C'est un battant, ajoute Dompierre. Il a une tâche à accomplir et il l'accomplit. C'est un de mes premiers héros!»

Par ailleurs, les pirates ne font pas bonne figure dans le roman. L'auteur s'en donne à coeur joie dans le pastiche du genre, accumulant des scènes burlesques où les têtes explosent, les corps se disloquent et les boucaniers s'avèrent plus lâches que valeureux. «Barbaque et Victor le Bilieux, les deux pirates typiques, disparaissent très vite. Je voulais faire un roman de piraterie, mais faire mourir les clichés dès le départ», explique l'auteur.

Satire des romans d'aventures et critique sociale, Morlante se déroule en 1701, mais rejoint notre ère. Entre deux sanglantes batailles de corsaires dans la mer des Caraïbes, l'auteur intègre des réflexions actuelles, créant d'intéressants parallèles entre cette époque barbare et la nôtre, à certains égards, tout aussi violente.

«Je ne voulais pas refaire ce qui avait été fait. Le parti pris était de ne pas cacher que j'écris au XXIe siècle.» Ainsi, on y trouve certains anachronismes, surtout dans les dialogues, truffés d'expressions modernes et de considérations sur les conditions de travail des pirates. Lolly Pop, l'aguicheuse cruelle et dominatrice, a même des airs féministes.

«On ne marque pas son époque en écrivant des livres, mais en tranchant des gorges», écrit Dompierre, qui se désole du peu d'importance accordée à la littérature par rapport aux faits divers dans les médias. «On se souvient davantage du nom des tueurs en série que des auteurs», déclare-t-il, ajoutant qu'à cet égard, depuis le spectacle des pendaisons publiques des pirates, la société n'a pas vraiment changé.

Premier roman de piraterie pour Dompierre, certes, mais aussi roman d'aventures moderne, mené par un écrivain qui s'interroge sur son métier.

«Je voulais établir un parallèle entre les écrivains et les pirates, qui sont tous deux motivés par l'appât du gain et vivent dans l'isolement.

Morlante travaille seul dans la cale du bateau et sort parfois pour aller égorger tout le monde. C'est un peu comme les écrivains qui vivent isolés et sortent pour un salon du livre, devenant des rock stars le temps d'un ou deux jours.»

Morlante sustente son oeuvre du sang versé par les escrocs de la mer, mais le roman suggère qu'à l'instar des pirates, les écrivains volent aussi la vie des autres. Deux clans de pilleurs qui grappillent, chacun à sa manière, au gré de leur appétence.

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Morlante. Stéphane Dompierre. Coups de tête, 155 pages, 14,95 $