Stéphane Dompierre a passé 15 ans de sa vie à promener ses démos de compagnie de disques en compagnie de disques, sans succès. C'est finalement un manuscrit qui lui a ouvert toutes grandes les portes: son premier roman, Un petit pas pour l'homme, a spontanément séduit la maison d'édition Québec-Amérique.

«J'ai vraiment l'impression d'avoir gagné un concours, lance celui qui travaille pour l'instant «dans un bureau». Je me sens comme si j'avais deux vies, comme Clark Kent et Superman!»La surprise est sûrement de taille quand on a bûché si longtemps pour se tailler une place dans l'industrie musicale. Musicien de formation, Stéphane Dompierre a fait partie de plusieurs groupes aux noms très changeants - notamment Marie-Madeleine qui s'est rendu en finale de l'Empire des Futures Stars - sans vraiment parvenir à percer.

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Mais c'est pendant ces années de galère qu'il s'est initié à l'écriture de chansons, tout en conservant précieusement ses pages inutilisées qui lui ont servi, au bout du compte, à écrire Un petit pas pour l'homme. Un livre né de la crise existentielle inévitable à ceux qui voient approcher la trentaine et qui se résume à ceci: Que vais-je faire de ma vie? Une question fondamentale qui résonnera dans les oreilles de toute personne possédant au moins «un meuble d'inspiration suédoise en bois pâle non verni», à qui est destiné ce roman «urbano-funkyscratch-ironico-technopop-rétrochic-choc-post-moderno-laouèrass

e-plateaumachin».

«J'ai ressorti mes cahiers après une rupture amoureuse, raconte l'auteur. On a toujours du temps après une rupture. Ça correspondait aussi dans ma vie à un entre-deux, parce que la musique, ça ne marchait pas. J'avais l'impression que ça n'allait pas me mener à grand chose, que j'avais donné tout ce que j'avais à donner. À 20 ans, c'est un rêve que j'avais vraiment de monter dans un autobus avec ma gang et d'aller faire la tournée des bars à 50$ la soirée. Mais à 30 ans, c'est un idéal qui ne me ressemble plus.»

Tiens, ça nous fait penser à Daniel, le personnage principal de son roman.

On peut lire en quatrième de couverture de Un petit pas pour l'homme: «À 20 ans, il n'y avait rien de plus cool que d'être gérant d'une boutique de disques. À 30 ans, c'est autre chose.» Daniel vient tout juste de larguer sa blonde et fantasme sur sa nouvelle liberté en transformant son studio trop cher du Plateau en baisodrome. Le problème, c'est que cette liberté tant rêvée ne le comble pas autant qu'il l'espérait...

Encore une autofiction sur la vie sans repères des jeunes du Plateau Mont-Royal? Oui et non. Si Stéphane Dompierre ne s'identifie pas vraiment au personnage qu'il a créé, il en comprend l'univers, et c'est cette distance qui lui permet d'en rire, avec son look branché qui sied très bien à l'environnement où il a donné rendez-vous à La Presse, soit un café du Plateau! «J'aime ça caricaturer le Plateau Mont-Royal, parce que je fais partie de cette faune-là, moi aussi, concède-t-il, avant de regarder autour de lui avec un sourire. Je suis certain qu'ici, on peut trouver quelqu'un qui est en train d'écrire son premier roman. On ne peut entrer dans un café du Plateau sans croiser un écrivain en devenir. Je m'amuse avec ces clichés que les gens entretiennent et c'est pourquoi je voulais que le monde de Daniel soit cloisonné, qu'il n'ait pas une vision très large de ce qui l'entoure.»

Un peu borné

Il est vrai que pour une bonne partie du roman, Daniel ne voit pas bien plus loin que sa queue, comme son poisson rouge... «Je voulais qu'il soit un peu borné, qu'il ne voie pas son passé ni son avenir, et que le lecteur l'observe comme s'il était dans un bocal. Ce n'est pas pour rien qu'il habite un 1 et demi!»

Dans le même esprit, Daniel est en mode stationnaire sur le plan professionnel, aimant reluquer les «disquaires-amazones» du magasin où il est gérant. Les principales références culturelles de sa vie, jusqu'à son fantasme d'enfance (Fifi Brindacier) lui viennent de la culture pop et de la mode. «J'aurais pu décider de faire un personnage super intelligent et très littéraire, qui aurait expliqué pourquoi la télé est néfaste, mais je ne voulais pas me mettre en valeur par le personnage, parce que je pense que c'est l'erreur des premiers romans. Je voulais que ce soit au lecteur de faire ses réflexions. L'écrivain a tendance à vouloir montrer qu'il est lyrique, réfléchi et posé. Mais mon personnage est volontairement un peu nono. On n'a pas l'impression qu'il vit difficilement sa rupture, alors que dans le fond, il est tout à l'envers, et c'est probablement d'une relation stable qu'il a besoin.»

Ce n'est pas parce qu'on rejette les valeurs prônées par ses parents qu'on se retrouve nécessairement libre, surtout si l'on n'en a pas créé d'autres en retour, croit Stéphane Dompierre. Il estime que ce flou est la principale caractéristique de sa génération et qu'il explique en grande partie pourquoi la rupture amoureuse est l'un des moteurs romanesques préférés des écrivains d'aujourd'hui.

«Le mariage ne veut plus dire grand-chose et on change souvent d'emplois.

Les relations, c'est un point d'attache, un pivot, un repère pour les gens.

Dès qu'on perd ce pivot, on devient tout croche. Je connais beaucoup de gens qui se sentent adultes principalement parce qu'ils ont suivi les traces de leurs parents. Boulot, maison, enfants. Je ne juge pas ce choix, car il est évident que ça représente un confort et une sécurité, mais c'est aussi ce dont beaucoup de gens ont peur, parce que ça signifie justement devenir adulte.»

La «maculée» conception

La célèbre phrase de Neil Armstrong qui donne son titre au roman fait référence à la «maculée» conception de Daniel dont les parents lui ont appris qu'elle s'est probablement produite sur le divan de tante Lucienne le jour où l'Homme a mis le pied sur la Lune. Il s'avère que cette date est aussi celle de la naissance de Stéphane Dompierre.

«Je pense que cette anecdote de la conquête de l'espace est vraiment symbolique, affirme-t-il. On a l'impression que c'était des années où il se passait de grandes choses mais que présentement, on est un peu blasé. On parle de Mars, mais ça ne suscite pas l'intérêt comme à cette époque. Ce que vit mon personnage, c'est un petit pas pour l'homme mais pas de grand pas pour l'Humanité. Il se sent tourner en rond dans pas beaucoup d'espace, comme dans un bocal.»

Ajoutons que Daniel, de même que ses copains, est aussi à l'étroit dans des relations dont il est prévu d'avance qu'elles excèdent rarement les six ans, comme le démontre l'une des nombreuses théories, humoristiques et grinçantes, insérées un peu partout dans le roman. Stéphane Dompierre n'est pas pour autant un cynique de l'amour. «J'y crois encore et je suis très amoureux en ce moment, dit-il. C'est peut-être lorsqu'on est mis devant ces théories froides qu'on se réveille et qu'on a envie de les contredire, de faire quelque chose. On ne veut pas que ça nous arrive.»

Daniel retombera-t-il dans le cycle de l'amour, qui est la dernière phase du célibat, soit celle du «lemming qui se balance en bas de la falaise comme tous ses amis lemmings, prouvant ainsi qu'il n'a rien compris dans la phase

4»? Pour le découvrir - et connaître les quatre autres phases du célibat - lisez Un petit pas pour l'homme!