Enfant, François de Closets a toujours peiné sur l'orthographe, allant jusqu'à soulever l'ire de ses maîtres. Devenu journaliste et écrivain, son calvaire s'est poursuivi. Il a voulu comprendre pourquoi.

Dans son plus récent livre, Zéro faute, l'auteur français ne fait pas de quartier: l'orthographe aurait dû être simplifiée depuis longtemps. Une affirmation qui a soulevé toute une tempête en France. Alors que Zéro faute est à la veille de sortir chez nous, La Presse a joint M. de Closets à son domicile parisien.

Q: Pourquoi cet ouvrage que je qualifierais de polémique?

R: Je ne crois pas qu'il est polémique. Il s'agit d'un travail d'enquête qui a pris pour sujet, ce qui n'a jamais été fait, la langue française et l'orthographe. Toute ma vie, l'orthographe m'a paru bien difficile à apprendre. De plus, on constate à l'heure actuelle un véritable effondrement du niveau des élèves en orthographe. Cela dure depuis 15 ans. J'ai voulu comprendre pourquoi et comment en sortir.

Q: Qu'est-ce qui est à la base de cet effondrement?

R: Depuis toujours, l'écriture donnait un rôle à la parole. Elle fixait le verbe. On mettait donc davantage l'accent sur l'écrit que sur le vocabulaire. Actuellement, nous faisons face à une période de mutation. Par le biais des textos, des blogues, des ordinateurs et de l'internet, nous assistons à l'émergence de nouvelles techniques d'écriture qui s'expriment à travers les jeunes. Celle-ci est conversationnelle. À travers les textes, je discute. L'écrit a donc perdu son statut supérieur de mémoire du langage.

Q: Pourquoi l'orthographe est-il si complexe?

R: Au départ, on a pris l'alphabet latin pour l'adapter à la langue française. Ensuite, l'écriture a été prise en main par des scribes. Pour eux, cette langue devait rappeler son origine latine avec par exemple l'ajout de consonnes muettes. Résultat: au XVe siècle, l'orthographe était d'une complexité abominable. Au début du XIXe siècle se constitue une nation française qui décide que le peuple va apprendre à écrire. Qu'a-t-on sous la main? Une orthographe d'érudit. Comment l'enseigner? En la simplifiant. Mais toutes les tentatives ont avorté. On est allé jusqu'à sacraliser l'orthographe et ceux qui éprouvaient de la difficulté à l'apprendre en ont été stigmatisés.

Q: Quel est le rôle des écrivains, gens de lettres et, de façon plus large, gens du monde culturel, dans la situation que vous constatez?

R: Tout au long des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, les écrivains étaient à la pointe de la modernisation et de la simplification de l'orthographe. Il y avait Ronsard, Corneille, Voltaire. Et au XIXe siècle, on ne s'en occupe plus. Aujourd'hui, les écrivains sont arc-boutés contre toute forme de changement. En 1990, avec les meilleurs linguistes du pays, la France a proposé des réformes non autoritaires comme la suppression des accents circonflexes, de toutes sortes de traits d'union inutiles ou encore de redoublement de consonnes. Cela a provoqué un tollé général et la réforme n'a pas eu lieu.

Q: Existe-t-il d'autres équivalents à ce que vous qualifiez d'«ordre graphocratique» ?

R: Beaucoup de pays ont des langues très compliquées. Par exemple, l'anglais, sur l'écriture des mots, est épouvantable. Mais l'anglais a une grammaire beaucoup plus simple. Le français a une grammaire très difficile avec des variables, des exceptions, des accords muets. En contrepartie, dans des langues telles l'italien ou l'espagnol, l'écrit est une simple transcription de l'oral. Si vous parlez italien, en un an vous l'écrivez.

Q: Vous dites avoir consacré un temps et une attention démesurés à l'orthographe pour des résultats médiocres et que le dictionnaire fut votre bouée de sauvetage. La difficulté de la langue ne vous a-t-elle pas enseigné la valeur du travail et de l'effort?

R: J'adore travailler. Je travaille 15 ou 16 heures par jour. J'adore apprendre. Je suis un workaholic. Je crois dans la valeur du travail. Mais je crois aussi que tout l'effort déployé pour la maîtrise de l'orthographe est un peu démesuré.

Q: Est-il possible de simplifier l'orthographe sans avoir au préalable une entente avec l'ensemble des communautés francophones de la planète, dont le Québec?

R: Les communautés francophones ont toujours été en avance sur la France. En 1950, à l'UNESCO, elles ont demandé la simplification de l'orthographe, ce qui leur a toujours été refusé. Après l'échec de 1990 en France, d'autres communautés francophones, dont le Québec, sont allées de l'avant avec une orthographie simplifiée.

Q: Quelles solutions sont à notre portée?

R: En France, les jeunes font encore leur dictée avec un crayon et un papier comme au XIXe siècle. Dès qu'ils sont à la maison, ils passent à l'ordinateur. Je crois que nous devrions faire faire les dictées par ordinateur, à l'aide des correcteurs orthographiques. D'abord, en débranchant le correcteur puis, en le rebranchant pour voir ses remarques. Le maître accompagnerait l'élève dans l'analyse des corrections. L'élève en viendrait ainsi à mieux comprendre ses erreurs.

Q: Par ailleurs, vous êtes inquiet de la dégradation d'autres aspects de la langue...

R: On abandonne par exemple la forme interrogative, ce que vous ne faites pas au Québec. Or, en France, cela s'est fait dans l'indifférence générale. On abandonne aussi l'usage du futur et du passé simple. Il y a un appauvrissement de la conjugaison qui me paraît grave.

Q: Dans 1984 de George Orwell, la dictature d'Océania veut imposer la «novlangue», un langage simplifié à l'extrême dont le but avoué est de gommer les idées, réduire le champ de pensée des gens et ainsi annihiler toute critique de l'État. Sans aller jusqu'à cet exemple extrême, doit-on craindre l'appauvrissement de la langue?

R: Ma crainte est de voir le français se réduire à une langue de communication. Je m'inquiète d'un appauvrissement du vocabulaire. Pourquoi n'emploie-t-on plus, par exemple, le mot «tintinnabuler»? Ou encore l'expression «un oeil émerillonné». Ce sont des mots qui ont une saveur, un goût! Non, on préfère s'en tenir à dire un regard vif. Il y a un danger terrible à ne plus distinguer les sentiments, les expressions. Les jeunes disent toujours «c'est cool». Non, ce n'est pas toujours «cool». Ça peut être reposant, chaleureux, sympathique. On a 10, 15 adjectifs à notre portée. Notre pensée passe par des mots. Elle est riche de nuances. Autrement, elle s'appauvrit.