Ça bouge dans le monde de la littérature. Alors que le bouquin virtuel se cherche encore une forme définitive, les sites Amazon et Google ont déjà érigé les structures de ce que seront, selon eux, les librairies numériques. Des formules qui ne plaisent pas aux éditeurs québécois, qui répliquent avec leur propre modèle. Qui saura s'imposer dans cette nouvelle ère numérique?

Amazon, le fleuron américain du commerce électronique, avec 615 millions de visiteurs par année, espère faire de son liseur de livres électroniques, le Kindle, l'équivalent de ce qu'a été le iPod pour la musique numérique: le gadget que tout le monde veut. Mais pour dominer le marché, le géant de la vente en ligne doit aussi contrôler le contenu. Sa solution: créer l'équivalent littéraire du iTunes Store.

La formule d'Amazon pour s'accaparer le marché est simple. Les éditeurs qui veulent vendre leurs titres sur le Kindle n'ont qu'à lui fournir leurs manuscrits en format numérique. Amazon se charge ensuite de les rendre compatibles avec son Kindle, de les stocker sur ses serveurs et de s'assurer que les fichiers ne seront pas dupliqués. Le tout à ses frais. La société américaine se garde au passage le plein contrôle du prix de vente et s'autorise à diffuser, à sa guise, les extraits qu'elle juge pertinents.

Une formule avantageuse? Pas si sûr, ont répondu unilatéralement les éditeurs québécois. «Les contrats à sens unique comme ceux-là, personne n'en veut dans l'industrie du livre», résume Gilles Hermans, directeur des éditions Septentrion.

Voyant poindre un monopole contrôlé par Amazon, la société informatique montréalaise De Marque et l'Association nationale des éditeurs de livres du Québec (ANEL) ont donc mis sur pied leur propre plateforme de gestion de livres électroniques. Six mois après son ouverture, c'est sur cet «entrepôt virtuel», dont les serveurs sont au Québec, que sont stockés les livres numériques vendus par Archambault sur le site jelis.ca.

«Les éditeurs ont la pleine maîtrise des fichiers qu'ils y stockent. Nous les entreposons sur un serveur situé au Québec. Ce sont ensuite les éditeurs qui décident du prix des livres. Ce sont eux qui décident des extraits qu'ils veulent diffuser gratuitement. C'est une philosophie complètement contraire à celle d'Amazon», affirme Clément Laberge, vice-président chez De Marque.

L'entrepôt québécois agit comme un intermédiaire entre l'éditeur et le libraire. Le paiement entre éditeur et libraire se fait en ligne, indépendamment de l'entrepôt. De Marque, en échange, retire des frais pour chaque transaction. «Si la FNAC (le plus important libraire de France) voulait vendre un livre québécois, ce serait très facile d'activer une passerelle», indique M. Laberge.

Bien sûr, le marché québécois reste petit. Mais l'entreprise montréalaise a déjà convaincu des éditeurs français, dont Gallimard, Flammarion et les éditions de la Martinière, d'utiliser sa plateforme sous licence.

«Si demain matin un club de lecture amateur voulait vendre des livres électroniques, il pourrait le faire. C'est l'avantage de notre entrepôt: il est souple. Avec ça, on est prêt à passer dans un système purement numérique», dit M. Laberge.

L'approche Google

Mais d'ici quelques jours, les volontés d'Amazon et des éditeurs québécois de contrôler les contenus seront inévitablement confrontées à celles d'un acteur aussi incontournable que puissant: Google.

En 2004, dans le but déclaré «d'organiser l'information mondiale afin de la rendre accessible et utile à tous», Google s'est rendu dans les plus grandes bibliothèques américaines et a systématiquement numérisé tous les livres.

Cinq ans plus tard, malgré l'opposition virulente de centaines d'éditeurs devant sa démarche, le géant de la recherche possède une collection de plus de 7 millions de titres numérisés, qu'il a en partie rendue disponible sur son site books.google.com. Parmi ceux-ci, des dizaines de milliers sont des livres qui se trouvent déjà dans le domaine public. Mais des centaines de milliers d'autres oeuvres appartiennent à des éditeurs toujours actifs, et plusieurs autres sont «orphelins».

Devant le refus de Google de négocier des ententes avec les éditeurs pour la vente de ces livres protégés et orphelins, la Guilde des auteurs américains et l'Association des éditeurs américains ont intenté un recours collectif. Google en est finalement arrivé à une entente à l'amiable avec les éditeurs.

Moyennant un paiement global de 125 millions, les éditeurs cèdent à Google le droit d'afficher des «aperçus» de leurs livres et de vendre les versions intégrales sur books.google.com. Les auteurs qui s'opposent à la formule Google devront s'auto-exclure du programme (opt out).

Le 7 octobre, les tribunaux se prononceront sur la validité de cette entente. Si la Justice donnait son feu vert, le catalogue numérique global s'enrichirait d'un coup de plusieurs centaines de milliers de nouveaux titres.

Entre autres critiques, on reproche à Google d'avoir choisi une technologie donnant des fichiers numériques d'une qualité médiocre, loin de rendre la lecture de livres virtuels attrayante.

Le département américain de la Justice, qui s'est penché sur l'entente entre Google et les éditeurs, y voit un autre problème, plus grave celui-là: en imposant l'idée que tous les livres peuvent être scannés et mis en ligne, Google et les éditeurs réécrivent en quelque sorte la Loi sur le droit d'auteur... un travail qui devrait normalement revenir aux élus.

 

Quelques chiffres

> Ventes de liseuses de livres électroniques

2007: 150 000 unités

2012: 18,3 millions d'unités

> Parts de marché

Kindle (Amazon): 45 %

Sony Reader: 30 %

Source: iSuppli