«J'ai appris la mort de Nelly ce matin en arrivant aux éditions du Seuil. Des messages laissés par des amis québécois ou français. Ils étaient imprécis, mais j'ai su tout de suite que c'était un suicide. Le suicide était omniprésent dans son oeuvre et hantait sa vie. Elle avait déjà fait des tentatives...»

Le "découvreur" et éditeur de Nelly Arcan, Bertrand Visage, venait pourtant de recevoir un nouveau texte de la jeune femme. «Récemment, j'avais reçu une trentaine de pages de son prochain roman, dit-il. Je ne veux pas en parler aujourd'hui ni dévoiler son sujet. Mais c'était manifestement le début d'un nouveau très grand roman...»

Hier, dans son bureau de la rue Jacob, à Saint-Germain-des-Prés, l'éditeur expédiait les affaires courantes, si l'on peut dire. Un communiqué de quelques paragraphes pour l'Agence France Presse. Une interview téléphonique à Radio France international. Une autre à France Culture (radio). Il s'attendait à trouver à tout le moins des mentions dans Le Monde et Libération de ce samedi. Pour une romancière qu'il avait découverte par la poste, en 2001, et pour qui il avait pris l'avion pour Montréal, 24 heures après avoir lu le manuscrit. Ce qui n'arrive pas tous les jours dans l'édition.

Pas plus que l'immense majorité des romanciers, à l'exception de ceux qui passent leur vie à la télé, Nelly Arcan n'était une vedette grand public.

Mais elle était indéniablement une célébrité dans les milieux littéraires et les grands médias nationaux.

Son passage agité à l'émission Tout le monde en parle, où le provocateur Thierry Ardisson lui avait lourdement «reproché» son accent québécois, avait certainement beaucoup aidé à faire vendre son premier roman. Mais n'a guère laissé de souvenir en France, où ce genre de prise de bec est monnaie courante. Dans les milieux parisiens de l'édition, on se souvient d'abord et avant tout d'un texte et d'un style «remarquables», au-delà même de son propos «scandaleux».

Sélectionné sur les premières listes des prix Femina et Médicis, Putain n'avait pas été couronné, mais avait vendu plus de 20 000 exemplaires de l'édition originale sur le seul marché français, avant d'être publié en poche. Par la suite, Folle et À ciel ouvert n'avaient pas connu le même succès à Paris. Mais, aujourd'hui encore, Bertrand Visage soutient que «de toute évidence, À ciel ouvert était un roman aussi important que Putain car Nelly prenait le risque de changer de registre, de passer véritablement au roman et à la troisième personne».

Le fait qu'elle ait confié son prochain texte aux éditions des 400 coups pouvait donner à penser que ses relations avec les éditions du Seuil s'étaient distendues. «Il n'en est rien, explique Bertrand Visage. Nelly souhaitait publier ce texte sur le suicide aux 400 coups et m'en avait averti. Je l'aurais bien entendu publié au Seuil, mais je respectais son souhait. Il n'y a jamais eu le moindre relâchement dans nos relations.»