Simon Brault lance un premier essai, Le facteur C: l'avenir passe par la culture, un plaidoyer en faveur de la participation culturelle. En entrevue exclusive à La Presse, cet acteur important de la culture à Montréal explique que le développement de l'offre n'est plus suffisant pour assurer l'avenir de la culture.

Simon Brault porte trois chapeaux: directeur de l'École nationale de théâtre, vice-président du Conseil des arts du Canada et président de Culture Montréal. Toutes ses expériences lui ont servi pour écrire Le facteur C: l'avenir passe par la culture, un témoignage, une profession de foi et une invitation à la participation culturelle.Son constat: la culture est devenue un enjeu économique et politique. On le voit dans les investissements publics à Montréal et on le sent dans les campagnes électorales. Paradoxalement, malgré une offre abondante, certains publics s'absentent: les plus démunis, les jeunes et les communautés culturelles, notamment.

Avec la nouvelle crise des finances publiques, les gouvernements se serreront la ceinture, et la culture écopera probablement au premier chef, dans les prochaines années. Il devient alors urgent de parer à ce qu'on peut appeler le «décrochage culturel».

«Le modèle complètement pensé autour du développement de l'offre, pour stimuler la consommation culturelle, arrive en bout de course. Ce système va imploser si on n'intervient pas massivement pour encourager la participation culturelle», dit-il en entrevue à La Presse.

Constatant que certains publics sont imperméables à la culture, il dit craindre que se préparent des «fractures socioculturelles» dans les villes, dont Montréal.

«Le Quartier des spectacles et la place des Festivals, c'est bien, mais c'est moins important pour l'avenir de la culture à Montréal, où l'offre est à 95 % blanche et francophone, que de faire le virage pour intéresser les autres à ce que l'on fait», croit-il.

Devant la hausse de ces «non-publics», Simon Brault croit qu'une révision des politiques culturelles et du rôle de l'État s'impose.

«Oui, l'économie est importante, dit-il, mais les politiques publiques aussi. Je suis très content que le maire s'occupe de la place des Festivals, mais si elle ne sert qu'à mettre en scène ce qu'on avait avant, c'est more of the same. Ça doit être une occasion d'aller chercher d'autres publics.»

L'auteur pense qu'il faut encourager la rencontre entre publics et artistes, l'art public, les loisirs culturels et, surtout, un véhicule tout-terrain: l'art et la culture à l'école.

«On ne les voit plus comme des choses fondamentales à l'école, déplore-t-il, mais comme périphériques, sauf pour certaines écoles à projet culturel. Toutes les écoles devraient avoir des projets culturels adaptés.»

Par ailleurs, on a longtemps cru, ajoute-t-il, que la pratique de l'art amateur éloignait le public des artistes professionnels, mais on se rend compte qu'on avait tout faux.

«Plus les gens ont un rapport personnel à la création, plus ils expérimentent le pouvoir de l'art et en redemandent. Malheureusement, on le valorise dans une logique commerciale. Star Académie c'est de la participation culturelle, mais dans un esprit de compétition et de star system uniquement, pas pour le plaisir de la création.»

Un million d'emplois

Le facteur C défend la notion de la culture pour tous, «une utopie aussi essentielle à notre vie en société que le principe de la justice», écrit Simon Brault. Au Canada seulement, plus de 1 million d'emplois sont liés à la culture.

En 2006-2007, les trois ordres de gouvernement au pays ont dépensé plus de 8 milliards en culture. Mais au moment où les entreprises culturelles, surtout en télévision, demandent une déréglementation à tout crin, Simon Brault s'insurge.

«Il est pertinent de rappeler que leurs empires n'existeraient pas s'ils n'avaient pas pu tirer avantage de ces mêmes règles dans le passé. Sans compter qu'ils font appel à peu de frais aux talents des créateurs qui évoluent dans le système subventionné», rappelle-t-il.

Les logiques économique, touristique et technologique dominent la réflexion sur la culture, mais il ne faut pas perdre de vue les artistes et les créateurs, croit-il.

«Il y a un rouleau compresseur international, note-t-il, et il faut prendre conscience à nouveau de la fragilité de la création.»

Et les artistes?

L'État a un rôle à jouer pour soutenir la création et la participation, mais les organismes culturels, comme Culture Montréal et Les Journées de la culture, et les artistes aussi.

«Yannick Nézet-Séguin explique les oeuvres, note M. Brault. Il y a des puristes qui trouvent ça futile, mais le public l'apprécie. Si c'était fait à grande échelle, si les écoles d'art apprenaient aux artistes à expliquer leur travail, si en art contemporain on tenait un discours plus compréhensible, on pourrait y arriver.»

Quant aux communautés culturelles, Simon Brault avoue qu'il reste «beaucoup de travail à faire». «À Toronto, dit-il, le Théâtre français utilise désormais les surtitres. Et ça marche! Il y a des villes qui font des campagnes formidables pour que leurs citoyens écrivent un peu plus. Ça ne coûte rien. Ces mouvements doivent venir des villes et de la société, mais ne doivent pas être boudés par les artistes.»