Du Togo à Gatineau en passant par Paris, Edem Awumey a traversé du pays dans la vie comme dans ses livres, qui traitent d'errance et d'exil. Auteur de Port-Mélo, récompensé en 2005 du Grand Prix littéraire de l'Afrique noire, Awumey voit son second roman, Les pieds sales, paru simultanément en France et au Québec, figurer sur la première sélection du prix Goncourt.

Le jeune écrivain de 34 ans incarne la nouvelle génération d'auteurs francophones saluée en France. «J'ai grandi en Afrique francophone et eu la chance de vivre à Paris pendant cinq ans. C'était très stimulant, mais j'avais entendu parler de cet autre espace francophone en Amérique. Quand j'ai terminé mes études à Paris, j'ai immigré au Canada. Je vis dans le vieux Hull, à la frontière du Canada français et anglais: une position qui me permet de goûter à deux mondes, à la richesse du Canada dans toute sa complexité.»

La migration est aussi la réalité d'Askia, le héros des Pieds sales, exilé du Sahel, qui arpente les rues de Paris dans son taxi à la recherche des traces de son père disparu. Sidi, ce père fantôme qui a aussi fuit l'Afrique pour rejoindre l'Europe, devient vite un prétexte à une quête plus profonde des origines, d'une «malédiction de la migration éternelle» qui remonte à sa famille, son peuple, jusqu'à ses ancêtres esclaves.

«Askia essaie de s'enraciner, de se reconstruire. Son problème n'est peut-être pas le pays étranger qu'il découvre, mais les fantômes qu'il porte en lui. Il est comme un pèlerin qui arriverait quelque part au terme d'un long voyage. Sa fuite lui a cependant permis de mettre à distance son passé sombre en Afrique. Il était au service d'une milice obscure qui éliminait systématiquement les voix indésirables.»

La faveur de l'exil

Exilé intellectuel, Awumey a rejoint la France après avoir reçu une bourse d'écriture de l'UNESCO. Il raconte dans son roman une réalité qu'il n'a pas lui-même connue, mais qu'il a observée: celle des jeunes Africains qui traversent à pied le désert du Sahel et arrivent aux portes de l'Europe.

Ces nomades aux pieds sales, «condamnés par les dieux au périple éternel», souffrent du déracinement, mais peuvent aussi tirer de la migration une certaine richesse.

«Même s'il est douloureux au départ, l'exil peut se révéler très positif. Je n'aurais jamais fait certaines expériences si je n'avais pas quitté le Togo. Je refuse le misérabilisme. Je crois qu'on sort de l'exil dans une position de force, le regard ouvert sur le monde.» L'auteur fait toutefois remarquer qu'on ne parle jamais de ceux qui restent. «Celui qui part, même s'il souffre, fait des rencontres, découvre, explore. Celui qui reste est figé comme une statue de sel dans l'éternité d'une attente douloureuse. Peut-être faudrait-il aller analyser l'exil du côté de celui qui attend?»

Awumey se sent complice de ceux qui tirent profit de leur exil, à commencer par l'écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, qui l'a parrainé il y a deux ans. «Je l'ai suivi chez lui, au Maroc, et j'ai découvert un écrivain qui a beaucoup voyagé, mais qui est proche de ses racines.» Voilà peut-être un des bénéfices de l'exil? «Quand on s'éloigne de son pays natal, on prend toute la mesure de ce qu'on a perdu. J'ai compris que j'aimais le Togo quand j'en suis parti», affirme l'écrivain qui a fait sa thèse de doctorat sur l'exil et l'auteur Tierno Monénembo, dont les paroles font écho au grand Césaire, qui a écrit son Cahier d'un retour au pays natal loin de sa Martinique.

Refusant le culte de la douleur pour tous ceux qui, comme Askia, sont d'éternels déracinés, Awumey rappelle dans son roman la longue tradition des migrations humaines - l'Exode, l'Hégire, les croisades, les ruées vers l'or - et salue tous les grands voyageurs qui, comme Ulysse et Don Quichotte, ont fait le pari de parcourir le monde. «Les nomades n'ont pas de royaume, ils ont la route», écrit-il, dans ce chant en l'honneur de tous les chevaliers errants.

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Les pieds sales. Edem Awumey. Les pieds sales, Boréal/le Seuil, 157 pages, 18,95 $