Rêver Montréal. L'ancien maire Jean Drapeau l'aura fait pendant toute la durée de sa carrière politique, estime l'auteur Benoit Gignac, qui consacre une biographie (en librairie le 1er octobre) à ce personnage hors du commun. Dans Jean Drapeau: le maire qui rêvait sa ville, l'auteur brosse le portrait d'un homme démesurément dévoué à Montréal. Sa conclusion: malgré l'ampleur de ses rêves, le célèbre maire laisse un bilan mitigé.

Q: Pourquoi une nouvelle biographie sur Jean Drapeau ?

R: C'est la première biographie complète sur l'ancien maire. Aussi, je suis préoccupé, comme tout le monde, par Montréal. Je me questionnais beaucoup sur cette réflexion qu'on entend souvent selon laquelle Montréal manque de leadership. Je voulais retourner voir ce qu'était ce leadership (sous Drapeau). Il constitue la mesure-étalon en la matière.

 

Q: Certaines personnes rêvent encore aujourd'hui d'un leader prêt à relancer Montréal avec de grands projets. Est-ce une mauvaise idée ?

R: Les chances qu'un autre Jean Drapeau arrive sont à peu près inexistantes. Tout aussi habile et intelligent que puisse être le prochain maire, il ne disposera pas des armes dont disposait M. Drapeau : la montée nationaliste, la construction de l'État québécois, une période de prospérité économique, un poids politique plus important. Tous ces facteurs-là ne sont pas présents.

Q: Quel est le sens du titre de votre livre Jean Drapeau : le maire qui rêvait sa ville ?

R: À partir de 1960, M. Drapeau a pratiquement sublimé sa ville. Il est comme entré en religion, en transe pour Montréal. Il a imaginé un Montréal probablement au-delà de ce qu'il était. Il faisait rêver les Montréalais et il rêvait sa ville.

Q: Vous affirmez que la volonté du maire Drapeau de faire de Montréal une métropole internationale a amené les Montréalais trop loin. Que voulez-vous dire ?

R: Il a équipé Montréal comme une ville qu'elle n'est pas devenue. Et cela a coûté très cher. Par exemple, on a encore aujourd'hui des difficultés avec les îles. Après Expo 67, M. Drapeau n'a jamais réussi à y aménager des installations permanentes. La Ronde vit des difficultés financières, le Grand Prix a de la difficulté à vivre, etc. Toutes ces questions-là nous ramènent à la grosseur de Montréal. Mais lui voyait la grande ville internationale capable de supporter de telles infrastructures.

Q: Il se dégage de votre ouvrage que les idées de grandeur du maire ont eu des effets néfastes pour Montréal. Quels sont les exemples les plus frappants ?

R: Les Jeux olympiques. Ils ont été une réussite durant les 15 jours qu'ils ont duré. Mais tout le reste, c'est une affaire qu'on a payée durant 25 ans. Et il nous reste quoi ? Des installations, un stade dont il est inutile de parler, une culture du sport amateur, peut-être, plus importante, le centre Claude-Robillard, le centre Étienne-Desmarteau. Les pyramides vendues au privé... Cela dit, il y a un pôle qui s'est développé à l'est avec le Biodôme et l'Insectarium. Ces équipements n'auraient peut-être jamais été là sans les Jeux olympiques. Mais ce sont des équipements lourds à porter. C'est drôle, Jean Drapeau a pratiquement tout fait à l'est du boulevard Saint-Laurent. Il voulait tirer Montréal vers l'est. C'était vraiment une bataille de francophones.

Q: À ce propos, vous affirmez que ses projets de grandeur étaient aussi nourris par son ambition d'élever les Canadiens français parmi les grands peuples. Quelle a été sa contribution à leur émancipation ?

R: Je pense qu'avec des projets comme le métro, la Place des Arts et l'Expo, il a prouvé que les Canadiens français étaient en mesure de faire des choses comme les Anglais. Au fond, il nous a aidés à nous décomplexer.

Q: Vous dites aussi que Montréal n'a plus le poids politique qu'il avait à une autre époque et que, ce faisant, on ne cherche pas à gagner sa faveur à tout prix. Quel impact cela a-t-il sur son développement ?

R: Un impact majeur. Montréal est encore une création de Québec. Chaque fois qu'on veut faire quelque chose de majeur, on doit aller demander à Québec. À son époque, Jean Drapeau parlait pour les deux tiers de la région. Aujourd'hui, le maire de Montréal parle pour un tiers de la région. Sur le plan électoral, les enjeux sont dans le 450.

Q: Selon vous, M. Drapeau a régné à une époque où les normes démocratiques, écologiques, sociétales et autres étaient moins élaborées, voire inexistantes. À l'inverse, est-ce que ces normes ont constitué un frein au développement actuel de la ville ?

R: De nos jours, c'est plus compliqué, plus long. Mais c'est mieux. Il faut arrêter de croire que Montréal est sclérosé. Il faut prendre la lecture de notre véritable réalité. Montréal est une ville qui a perdu du poids politique. Qui rivalise avec Calgary, Minneapolis ou Pittsburgh. La lecture de Montréal doit en partie être refaite. Elle peut être une ville extraordinaire, mais plaçons-la à la bonne place. De toute façon, ç'a toujours été compliqué de développer des projets à Montréal. On a parlé durant 50 ans d'un métro avant de l'avoir.

Q: M. Drapeau a-t-il, selon vous, réalisé des projets structurants, valables, qui constituent un héritage significatif pour la ville ?

R: Le grand projet de Jean Drapeau fut le métro. Ce n'était pas juste le fait de transporter des gens dans un souterrain, mais de créer, aux bouches de métro, des îlots de commerce. Et cette réalisation a été faite dans les coûts et dans les temps. Sa deuxième contribution fut au plan culturel. C'est vrai qu'il était un conservateur. Il n'acceptait pas l'art contemporain. Mais il a créé le Conseil des arts, une innovation canadienne. Il a favorisé l'intégration des arts dans tous les projets, comme le métro. Il y a aussi la Place des Arts et l'Expo, un grand festival artistique et culturel. Ce sont ces éléments qui font que Montréal est maintenant une ville culturelle.

Q: En un mot, quelle épithète colle le mieux à Jean Drapeau ? Manipulateur, séducteur, dictateur, rêveur ?

R: Il était tout cela en même temps. Mais ce qui l'a le plus caractérisé est cette espèce de dévouement mystique, à s'en rendre malade, pour sa ville.

Q: Vous dites n'avoir jamais rencontré Jean Drapeau. S'il était encore en vie, quelle question lui poseriez-vous ?

R: Que pensez-vous de votre ville maintenant ? Et il me répondrait : « Je ne fais plus de politique, monsieur. « (rires)

Jean Drapeau : le maire qui rêvait sa ville Benoit Gignac Éditions La Presse En librairie le 1er octobre