Cela ressemble à une petite consécration - télévisuelle comme il se doit. Sans qu'il soit nécessaire d'invoquer le 400e anniversaire de la fondation de Québec ou quelque autre événement officiel, 12 écrivains québécois ont droit sur Arte, la prestigieuse chaîne culturelle franco-allemande, à un fort joli documentaire de 52 minutes. Diffusé jeudi prochain à 22 h 20, ce qui est un créneau horaire plus qu'honorable.

Ce long reportage est signé Patrick Poivre d'Arvor, le journaliste le plus célèbre de la télé française, et son frère Olivier, haut fonctionnaire voué depuis des années au rayonnement de la culture française à l'étranger. Il s'inscrit, sous le titre Horizons lointains, dans une série de documentaires consacrés à des villes et à leurs écrivains : Prague, Le Caire, Alexandrie, Johannesburg. Huit pays visités en tout, dont le Québec. Avec les budgets et les moyens d'une grande chaîne culturelle, dont l'audience dépasse en moyenne le million de téléspectateurs.

Le film, projeté hier soir en avant-première au centre culturel Wallonie-Bruxelles, a été comme il se doit chaudement accueilli par quelque 300 invités. D'autant plus que la majorité d'entre eux étaient québécois. Réceptifs aux allusions internes sur l'«encerclement» du Québec, aux rapports toujours compliqués avec la France. À la réponse d'un Jacques Godbout à PPDA : «Quand je suis à Paris, je me sens bien... chez vous», ou de la cosmopolite Catherine Mavrikakis, qui déclare sans tourner autour du pot : «J'aime et je déteste le Québec, où souvent je trouve qu'il ne se passe rien.» Petit frisson dans la salle.

Le choix des écrivains était, comme il se doit arbitraire, et parfois dicté par le hasard. Certains, comme Michel Tremblay ou Marie-Claire Blais, étaient absents de Montréal. «C'est dommage que le documentaire n'ait pas eu 20 minutes de plus», remarquait Jacques Godbout, présent à la projection. Et il ajoutait en souriant : «C'est vrai, je suis le seul ancêtre dans le tableau»

De fait, la tonalité du reportage est «jeune». Les vedettes sont pour la plupart des écrivains de la nouvelle génération. À l'exception, peut-être, de Jacques Godbout, et de Monique Proulx - filmée à Québec en compagnie de Jean-François Beauchemin et d'Éric Dupont - qui rappelle que «la tension qui persiste à Montréal entre les deux communautés est peut-être féconde pour la création».

Très à l'aise devant la caméra, Nicolas Dickner, 35 ans, auteur d'un Nikoslki, qui fut un best-seller au Québec et qui a été remarqué à Paris en 2007, pose au bord du fleuve devant le centre-ville : « Mon enfance s'est déroulée sous le signe de la guerre froide. Quand j'ai eu 15 ans, le mur de Berlin est tombé. Mais on a inventé d'autres menaces d'apocalypse. Récemment on a inventé l'écolocalypse. «

Signe des temps ou parti pris discutable, cinq des 12 écrivains retenus sont d'origine ou de culture étrangère. Neil Bissoondath, très à l'aise en français, est un écrivain anglophone de culture antillaise. Catherine Mavrikakis, plutôt tournée vers l'Europe, s'exprime sans détour ni condescendance sur son pays d'adoption.

Dany Laferrière, devenu célèbre à Paris, y est également considéré comme «un Haïtien installé à Montréal» : dans le film, il crève l'écran et vole le show, comme d'habitude. «Quand j'arrive dans un pays, plaisante-t-il, je n'attends pas d'être accueilli : je m'impose!» Mais pourquoi Montréal ne deviendrait-il pas progressivement une seconde (petite) métropole littéraire, où l'on publie des écrivains francophones venus d'ailleurs ?

Cent pour cent montréalaise, Marie-Sissi Labrèche - saluée en son temps par Libération pour Borderline - est une créature saisissante, qui aurait aussi bien pu venir du fond des États-Unis ou de la Russie. «Beaucoup de patronymes, dit-elle, viennent de noms de métiers. Or la brèche est d'abord une dénomination du sexe féminin. Mais cela peut renvoyer aussi à une brèche dans le cerveau, à la folie.» Évoquant une jeunesse «de baise», elle ajoute avec une certaine mauvaise foi : «À 40 ans, face à la nouvelle génération, j'ai l'impression d'être une matante, qui tricote à la maison»