Imaginez une convention collective dont les salaires seraient gelés depuis 12 ans. Rares sont les travailleurs qui accepteraient un tel contrat. C'est pourtant le cas des écrivains du Québec qui se déplacent dans les écoles primaires et secondaires.

En 1997, le ministère de la Culture a mis en place un programme favorisant la venue des auteurs québécois dans les écoles. Le gouvernement accordait à ce moment-là 325$ par jour aux écoles pour accueillir un écrivain en leurs murs. Depuis, ce serait le statu quo. Ou presque.

Selon le répertoire des ressources culture-éducation du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine (MCCCF), qui gère ce programme avec le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), il y a 175 écrivains inscrits au fichier des Écrivains à l'école, la plupart dans les régions de Montréal, Québec et la Montérégie.

Pour Andrée Poulin, auteure d'une quinzaine de bouquins, dont Les impatiences de Ping et Les cacaouettes de Babette, il est clair qu'un tel programme tente de profiter des auteurs lorsqu'on considère que «depuis 12 ans, le tarif n'a pas été augmenté».

Elle n'est pas la seule à être irritée de la situation. Jeanne Painchaud, auteure montréalaise spécialisée dans les haïkus, a écrit une lettre cette année à l'Union des écrivains et écrivaines du Québec, à Culture Montréal ainsi qu'au ministère de la Culture.

Dans la missive, que Le Droit a obtenue, elle mentionnait que compte tenu de l'inflation, il faudrait «multiplier le montant de ce cachet par 1,254 pour bénéficier du même pouvoir d'achat. Voyons ce que cela donne en chiffres: 325 $ x 1,254 = 407,55 $. Par conséquent, à chaque jour d'atelier, cette année, (et imaginez toutes les pertes depuis 1997), je perds en réalité 82,55 $ en pouvoir d'achat par rapport à l'année 1997».

Les chiffres de Mme Painchaud sont même un peu en-deçà de la réalité, puisque d'après la feuille de calcul de l'inflation de la Banque du Canada, l'indice des prix à la consommation a progressé de 27,18 % durant cette période.

Plus d'argent ailleurs

Quand on regarde ce qui se passe dans d'autres pays, les écrivains québécois ont de quoi être jaloux.

En France, le tarif journalier pour un auteur qui se rend dans une école est d'environ 596 $. Les auteurs, en particulier les auteurs jeunesse, y sont regroupés au sein de La charte des auteurs et illustrateurs pour la jeunesse, qui compte près de 700 créateurs. Ce regroupement s'entend avec le gouvernement pour que les tarifs soient indexés annuellement.

Et que dire du côté américain! Le site de Author Illustrator Source mentionne qu'un écrivain de renom demandera facilement 1000 $ par jour, alors «qu'un écrivain débutant ou de votre région peut être disponible moyennant 500 $».

Mais il n'est pas nécessaire d'aller si loin. Au sud de la rivière des Outaouais, le Conseil des arts du Canada (CAC) est plus généreux en ce qui concerne le tarif horaire. Les frais de déplacement sont à la charge de l'organisme qui invite un écrivain (à l'exception du kilométrage) et l'auteur reçoit 250 $ l'heure pour venir lire ses textes. Et deux ou trois organismes peuvent l'inviter dans la même journée. Selon l'information reçue du CAC, la dernière hausse, de l'ordre de 50 $, remonte à 2002.

Jean Malavoy, directeur général de l'Association des auteures et auteurs de l'Ontario français, souligne que son organisme se fie aux tarifs du CAC quand vient le moment de faire venir un auteur dans un établissement scolaire. «S'il est vrai que parfois certaines écoles sont assez pauvres, on va compenser. Mais surtout, on va s'arranger pour que les auteurs ne soient pas exploités.»

Cachet «satisfaisant»

Bien sûr, tous les écrivains ne sont pas prêts à tirer la sonnette d'alarme.

L'éditeur et auteur Robert Soulières estime que «comparé avec la petite serveuse du coin», l'argent que reçoivent les écrivains peut être jugé satisfaisant, même si «ça devrait passer de 325 à 350 $.» Surtout que d'aller dans certaines classes au secondaire, «c'est la croix et la bannière», précise l'auteur de Un cadavre stupéfiant.

De son côté, l'auteur Camille Bouchard considère que les 325 $ accordés sont «louables». Il tient à préciser qu'il ne veut pas se «plaindre pour rien». Arrivant à vivre de sa plume, il trouve cependant regrettable que beaucoup de commissions scolaires tardent à payer les auteurs.

Au ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, on n'a pu ni confirmer ni infirmer le fait que les tarifs n'aient pas été augmentés depuis plus d'une décennie. On n'a pu commenter non plus la volonté de Québec d'augmenter le cachet de 325 $.

À l'Union des écrivains et des écrivaines québécois, on est évidemment conscient du problème. La question devrait d'ailleurs être débattue à la rentrée. On nous renvoie à un dossier gouvernemental de 2003 pour mieux comprendre le problème.

À cette époque, l'Observatoire de la culture et des communications du Québec révélait, à la suite d'une enquête réalisée auprès de plus de 750 écrivains: «À peine 9 % des écrivains comptent sur leurs droits d'auteur comme principale source de revenus.»

De quoi apporter de l'eau au moulin de ceux qui réclament plus de sous. «C'est clair que la volonté politique manque, dit Jeanne Painchaud. Les travailleurs culturels, qu'ils soient artistes ou écrivains, ne sont-ils pas aussi des travailleurs tout court?»

Et Andrée Poulin conclut en parlant des auteurs: «On les veut dans nos écoles, mais pour pas cher.»