Depuis que Jane Austen a rencontré les morts-vivants dans Orgueil et préjugés et zombies, la parodie sanglante des classiques de la romancière anglaise fait la fortune des éditeurs assoiffés de ventes, menaçant d'étendre son empire sanglant à d'autres monuments de la littérature et de l'histoire.

Publié aux États-Unis au début de l'année, Orgueil et préjugés et zombies se revendique à 85 pour cent pur Jane Austen et 15 pour cent sang et horreur. Le livre de l'Américain Seth Grahame-Smith, qui se présente comme coauteur, a déjà été imprimé à 750 000 exemplaires.

Son éditeur, Quirk Books, creuse le filon et lâchera le mois prochain un nouveau monstre: Sense and Sensibility and Sea Monsters, où les héroïnes du XVIIIe siècle de Jane Austen combattront homards géants et pieuvres maléfiques, sous la coplume de Ben H. Winters cette fois, Seth Grahame-Smith étant occupé à transformer Abraham Lincoln en chasseur de vampires.

Les amateurs du genre ne manqueront pas non plus ces jours-ci la sortie de Mr. Darcy, Vampyre, où l'énigmatique héros d'Orgueil et préjugés devient un mort-vivant assoiffé de sang. Un peu plus tard cette année, Jane Austen en personne développe un certain goût pour le sang, dans Jane Bites Back.

Même les puristes austiniens admettent que ces détournements sont un coup de maître. «En termes d'édition, c'est brillant!», reconnaît Claire Harman, professeure à l'Université de Columbia et auteure de Jane's Fame: How Jane Austen Conquered the World. «Pourquoi ai-je passé trois ans à écrire un livre critique sur Austen? Pourquoi n'ai-je pas tout simplement pensé à cela!»

Chez Quirk Books, le directeur de collection Jason Rekulak explique avoir trouvé l'inspiration dans les innombrables détournements musicaux ou vidéo d'oeuvres protégées par les droits d'auteur, qui mélangent les genres sans scrupules. Il a dressé la liste des classiques de la littérature tombés dans le domaine public, du Moby Dick d'Herman Melville aux Grandes espérances de Charles Dickens. «Ensuite, j'ai noté ce qui peut épicer ces romans: robots, ninjas, zombies... Dès que j'ai relié Orgueil et préjugés et zombies, j'ai su que je tenais un excellent titre», affirme-t-il.

Si le titre fait partie intégrante de la recette du succès d'Orgueil et préjugés et zombies, il ne s'agit que de l'énième parodie des oeuvres de Jane Austen, l'une des cibles favorites du genre. Morte à l'âge de 41 ans en 1817, elle n'a publié que six romans mais a inspiré d'innombrables «suites» loufoques, comme la série télévisée Lost in Austen, le film bollywoodien Bride and Prejudice, ou le guide In the Garden with Jane Austen. Le mélange des genres n'est donc pas chose nouvelle.

Un retour de fortune étonnant pour une auteure reconnue de son vivant puis longtemps tombée dans le presque oubli, comme le souligne Claire Harman, qui a étudié la résurrection de Jane Austen grâce à ses admirateurs inconditionnels à la fin du XIXe siècle. L'universitaire impute en partie cette immortalité à l'élégance et la finesse d'observation mêlée de critique sociale de ces histoires aux héroïnes romanesques. En outre, «comme il n'y a que six livres, les lecteurs en veulent davantage».

Par ailleurs, l'émergence d'Internet a coïncidé avec une vague d'adaptations d'Austen, dont l'Orgueil et préjugés de la BBC en 1995 et le Raison et sentiments du réalisateur Ang Lee la même année, qui ont amené de nouveaux admirateurs à l'auteure.

Qui plus est, l'univers suranné des romans de Jane Austen se prête à l'apparition du surnaturel, constate Jason Rekulak. En témoigne l'atmosphère choisie pour les livres de la série Twilight fantastico-romantique de Stephenie Meyer comme celle de la série télévisée True Blood, toutes deux consacrées à des histoires de vampires. Amanda Grange, auteure de Mr. Darcy, Vampyre dit quant à elle avoir trouvé facile d'ajouter des éléments plus gothiques à l'histoire de Jane Austen. Ce n'est pas un hasard si le Frankenstein de Mary Shelley a été publié en 1818.