Patrice Leconte est un homme compliqué. En tout cas contradictoire. Suite à des articles assassins sur certains de ses films «grand public», il s'est fait une réputation d'ennemi juré des critiques de cinéma. Mais, dans son bureau installé à Montparnasse au dernier étage avec vue imprenable, il vous reçoit de manière adorable, peut-être parce que vous n'êtes ni critique de cinéma, ni français.

Le sujet du jour: le cinéaste des Bronzés, de Ridicule et de Monsieur Hire a soudain eu la fantaisie, à 61 ans, de publier un premier roman. Cela s'appelle Les femmes aux cheveux courts, un petit récit alerte, acidulé et au dénouement inattendu à propos d'un jeune homme de 27 ans, Thomas, un «chic type» comme il se décrit lui-même, employé dans une papeterie et qui a cette particularité de n'être attiré que par les filles aux cheveux courts. Comme l'auteur, bien sûr.

«Précisons tout de suite qu'il ne s'agit pas d'une perversion, mais d'une addiction, plaisante Patrice Leconte. Cela dit, il se pourrait que demain je tombe raide dingue d'une blonde aux cheveux longs. Mais mon attirance naturelle va vers les femmes qui portent les cheveux très court. Pourquoi? Bien sûr, parce que cela les dénude un peu plus. Mais aussi parce que j'y trouve une forme d'audace, d'affirmation personnelle. Le côté androgyne? Est-ce que Jean Seberg dans À bout de souffle n'est pas l'incarnation parfaite de la féminité?

«Mais attention! Je ne veux pas qu'une femme se coupe les cheveux pour me faire plaisir. Je veux que ça vienne d'elle-même. Ma femme? Oui, elle a toujours eu les cheveux courts, évidemment! Au cinéma, c'est autre chose. J'ai souvent cherché à convaincre les comédiennes de se couper les cheveux: je l'ai obtenu de Vanessa Paradis dans La fille sur le pont... Et bien sûr mon rêve serait de tourner avec Cécile de France!»

Le roman qu'il a écrit est donc le récit de cette quête fantaisiste et romantique de Thomas, qui s'est donné trois ans et pas un jour de plus pour trouver la femme de sa vie. Entre-temps il est vendeur au Stylo de Vénus, tenu par une séduisante patronne dans la quarantaine, assistée de trois ravissantes vendeuses.

«Oui, vendeur dans une papeterie, ce n'est pas un métier très glamour, admet Patrice Leconte. Mais j'aime bien les gens ordinaires. Peut-être parce que ce sont ceux que je connais le mieux. Je n'ai jamais mis en scène un général ou un grand patron...»

Un coup de pouce du destin

Né en 1947, Patrice Leconte a une production phénoménale derrière lui: dans la vingtaine, il faisait des bandes dessinées à Pilote. Il a donné abondamment dans le film publicitaire. Il a plus de 40 longs métrages à son actif. Quelle mouche l'a piqué de se lancer à 61 ans dans l'écriture?

«Comme toujours, il m'a fallu un petit coup de pouce du hasard, explique nonchalamment Leconte. Il y a cinq ans, j'ai croisé le patron d'Albin Michel, qui est un ami, et qui m'a dit: tu devrais vraiment écrire un roman. J'ai laissé l'idée germer. Et puis je m'y suis mis au travers de mes activités cinématographiques. Je n'en ai parlé à personne, même pas à ma femme, jusqu'au jour où il a été donné et accepté chez Albin Michel. Et maintenant je suis super content. Le livre marche bien, on en est à la troisième réédition. La critique est bonne, alors que je craignais par-dessus tout qu'on me reproche, moi un saltimbanque, d'oser toucher au domaine sacré de la littérature. Au contraire. J'ai même eu le bonheur suprême de me voir traiter dans L'Express de «petit frère de Raymond Queneau», mon écrivain préféré avec Simenon et Échenoz. Alors j'écrirai un autre roman, dans une dizaine de mois; j'ai déjà une idée en tête.»

Ceci ne doit pas être sans rapport avec cela: à 61 ans, Leconte a décidé de quitter le cinéma: «Je fais encore deux films, dont j'ai à peu près le sujet, et puis je m'arrête. Non, non, je vous jure, ce ne sont pas des faux adieux à la Charles Aznavour.»

De quoi peut donc se plaindre un cinéaste aussi couronné de succès que lui? N'a-t-il pas carte blanche pour tourner ce qui lui plaît?

«Ne croyez pas ça, dit-il avec détachement. Depuis un an, j'étais sur un projet assez mirobolant. Un scénario du romancier américain Douglas Kennedy. Deux acteurs plutôt présentables: Daniel Auteuil et Helena Bonham Carter. Luc Besson comme producteur. Un budget normal. Eh bien! le projet a été perpétuellement décalé et est finalement tombé à l'eau... Le cinéma est devenu une machine de plus en plus lourde. Les chaînes de télé, dont le financement est devenu vital, veulent des oeuvres pour les débuts de soirée, c'est-à-dire du connu. Alors que les bons films sont des prototypes.

«Je sais que quand j'aurai tourné le dernier plan de ce dernier film, je serai un peu triste mais également soulagé. Il faut savoir s'arrêter à temps, le monde du cinéma change. Je préfère me retirer avant d'être amer et de sombrer dans la tristesse.»

Tout cela dit sur un ton léger, presque joyeux. Et si c'était un vrai départ? On vous l'a dit: un gars compliqué, ce Patrice Leconte.

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Les femmes aux cheveux courts, Patrice Leconte, Albin Michel, 200 pages, 24,95 $