Après plus de 70 ans d'existence, la célèbre Librairie de France à New York, la dernière en son genre aux États-Unis, va définitivement fermer ses portes en septembre. Une page de l'histoire du français en Amérique va se tourner.

Située en plein coeur du Rockefeller Center, dans la petite rue piétonnière entre la célèbre patinoire et le chic magasin Saks Fifth Avenue, la Librairie de France est une institution à New York. Depuis 1935, la petite boutique de deux étages n'a cessé de tenir le fort de la littérature francophone aux États-Unis.

 

Si le rez-de-chaussée est encore bien garni de livres, les nombreuses étagères vides et poussiéreuses du sous-sol témoignent que les jours de la Librairie de France sont comptés. La mort dans l'âme, le propriétaire de la boutique, Emanuel Molho, s'est en effet résigné à fermer en septembre.

La principale raison? L'augmentation vertigineuse du prix du bail. «Le loyer est énorme ici. On payait déjà 1000$ par jour et là, le nouveau bail va passer à 1 million de dollars par année», précise Emanuel Molho assis dans son bureau exigu du sous-sol.

La librairie qui n'était déjà plus rentable ne peut évidemment pas absorber cette hausse de près de 300%. «Cela fait déjà des années que je ne me verse plus de salaire», plaide dans un français impeccable le propriétaire qui est pourtant d'origine juive espagnole.

Outre la hausse faramineuse du prix du bail, la librairie doit également faire face à la concurrence de l'internet et au déclin de l'intérêt pour le français aux États-Unis. Quand il a commencé à travailler à la librairie fondée par son père, «c'était chic de parler français à New York, se remémore le libraire. Aujourd'hui, plus personne ne lit en français», déplore-t-il.

Durant son âge d'or dans les années 50 et 60, la librairie faisait venir deux tonnes de livres par bateau par semaine. Ces dernières années, les importations se comptaient toutefois plus en grammes qu'en tonnes. «Je me souviens que l'on vendait 3000 exemplaires du prix Goncourt chaque année. Aujourd'hui, je n'en commande que quelques dizaines qui restent pour la plupart sur les tablettes», concède-t-il.

Au consulat de France de New York, l'annonce de la fermeture a donc été accueillie sans grande surprise, admet Amaury Laporte, responsable des communications pour les questions culturelles. «Nous sommes par contre déçus parce que nous avons essayé de trouver une solution sans y parvenir», ajoute-t-il.

Le déclin de la Librairie de France n'est pas nouveau. La maison d'édition qui lui été affiliée et qui avait notamment publié des auteurs comme Raymond Aron et André Maurois durant la Deuxième Guerre mondiale a imprimé son dernier livre il y a déjà bien longtemps. Quant aux deux autres succursales de la librairie, celles de Los Angeles et du sud de Manhattan, elles ont toutes deux disparu au cours des années 90. Aujourd'hui, la fermeture de la maison mère est toutefois beaucoup plus douloureuse pour Emanuel Molho.

Sortant un cahier Livres jauni de La Presse de 1997 présentant un article sur sa librairie intitulé Le jardin secret des élites francophiles, le septuagénaire ne cache pas qu'il va lui être difficile de tourner la page. Fondée par son père et employant aujourd'hui son fils et sa fille, la Librairie de France est intimement liée à sa vie.

Désormais, seule sa fille compte continuer à travailler dans la distribution de livres pour les écoles qui enseignent le français aux États-Unis. Mais, signe des temps, elle va le faire devant un écran d'ordinateur, par l'entremise de l'internet. Quant à Emanuel Molho, il va devoir se trouver un nouveau passe-temps. «Je ne sais pas ce que je vais faire, j'ai toujours travaillé à la librairie six jours sur sept», s'inquiète-t-il.