Des livres sur Elvis, il y en a eu un paquet. Des très bons et des vraiment mauvais. Celui-ci se classe de loin dans la première catégorie. En fait, soyons honnêtes: aucun autre bouquin sur le King n'arrive à la cheville de ce monumental Careless Love, biographie de 1500 pages en deux volumes écrite par l'Américain Peter Guralnick, qui vient tout juste d'être traduite en français.

Sorti l'an dernier, le tome 1 (Last Train to Memphis) relatait la montée d'Elvis vers la gloire, de sa naissance à son service militaire. Paru il y a quelques semaines, le deuxième tome (Au royaume de Graceland) raconte la déchéance d'une superstar en quête de sens, de plus en plus isolée dans sa cage en or et complètement accro aux barbituriques.

 

On ne le dira jamais assez, mais cette histoire est d'une tristesse abyssale. Victime de son manque de culture, de son absence de curiosité et d'une intelligence somme toute limitée, Elvis Presley est l'exemple même de la vedette pop tuée par son propre succès.

C'est particulièrement frappant dans la seconde moitié du livre, alors que l'auteur relate, à l'ordonnance près, le voyage sans retour d'Elvis au pays des pilules.

On savait que le King avait consommé des médicaments. Et qu'au bout du compte, il en était mort. Mais on savait moins qu'il sniffait aussi de la cocaïne et qu'il se piquait au Demerol, faisant passer ces séances de fix pour des traitements d'acupuncture. Dans les trois ou quatre dernières années de sa vie (1973-1977), ces excès ont fait de lui un fantôme enflé, excentrique et paranoïaque, qui donnait ses concerts «au radar» et se laissait mourir à petit feu pour cause d'ennui généralisé.

Elvis aurait-il pu s'en sortir s'il avait été mieux entouré? Poser la question, c'est y répondre. On pense bien sûr à ses «amis», qui le tenaient à l'écart d'un monde en évolution. Mais aussi et surtout au tristement célèbre colonel Parker, maître de l'arnaque et du marketing. Guralnick consacre de grands pans de son livre aux contrats «véreux» que lui faisait signer cet homme d'affaires sans scrupules qui se foutait manifestement des états d'âme de son poulain. Pour lui, le King n'était qu'un bouffon à paillettes destiné à générer des dollars.

Non, jamais la chute d'Elvis n'avait été aussi bien racontée. Et pour cause. Guralnick a effectué un monstrueux travail d'enquête, interviewant des centaines de témoins sur une période de plusieurs années. Le tout est rendu dans un style rigoureux et inspiré, qui donne à l'ouvrage un souffle quasi épique. C'est ce travail de journaliste supérieur à la moyenne qui fait de Careless Love - et de loin - la biographie suprême du King. «Elvis sort littéralement de ces pages», a déjà dit Bob Dylan. Ce n'est pas tout à fait vrai. En fait, c'est vous qui y entrez.

Careless Love - Au Royaume de Graceland (1958-1977)

Peter Guralnick

Le Castor astral