Ces jours-ci, il fait les grands médias et les Salons du livre. On vient de rééditer deux pièces terminées en 1965, quand il avait 23 ans et traînait entre Paris, New York et Londres. Richard Bohringer se dit «d'abord écrivain». Et serait ravi de jouer ses pièces à Montréal, ville qu'il adore. Sous la direction de sa fille Romane.

Les médias français raffolent de Richard Bohringer: il assure toujours le spectacle, même si, avec cette petite lueur inquiétante dans le regard, il est toujours imprévisible.

Ces jours-ci, Bohringer est sur le sentier de la guerre: salons du livre, talk-shows. Car Flammarion publie deux courtes pièces de théâtre écrites en 1965, à Londres et New York, alors qu'il avait 23 ans, Zorglub et Les Girafes. Deux pièces qui furent quelques fois montées à Paris avec succès. Atmosphère beckettienne. Personnages largués dans la ville, comme l'était leur auteur.

Bohringer, il y tient, a été écrivain avant d'être comédien.

Le rendez-vous est pris au bar du Lutétia. Puis, par la magie des cellulaires des attachés de presse, finalement déplacé dans un petit bistrot à deux rues de là. Ou plutôt dans une minuscule arrière-salle sans fenêtre, dans le passage étroit et bruyant qui mène aux toilettes.

Pourquoi publier ces deux pièces aujourd'hui? Entre autres parce que Bohringer aimerait bien les remonter, et les interpréter, sous la direction de sa fille Romane. Et pourquoi pas à Montréal? Après tout, Romane avait mis en scène au festival d'Avignon une pièce de la Québécoise Carole Fréchette...

«Moi, j'adorerais monter mes pièces à Montréal. Je suis même prêt à y passer six mois, en hiver s'il le faut, à cette époque de l'année où personne ne sort plus de chez soi. Je suis très attaché au Québec. J'y suis allé très souvent pour le travail. J'y ai tourné la moitié de mon film C'est beau une ville la nuit. J'ai eu de grandes émotions à Montréal, j'ai fait des concerts dans de petites boîtes. J'aime bien une certaine lumière urbaine, la proximité de la nature et de New York. Il y a un vrai underground, intéressant...»

L'écriture: le fil conducteur

Il a tout fait, Bohringer. Acteur dans une centaine de films. Un peu au théâtre. Chanteur avec un groupe rock: petite discographie. Mais tout a commencé par l'écriture.

«C'est le fil conducteur de ma vie. J'ai commencé par là, le métier d'acteur est venu 10 ans après. Dès qu'il y a un espace, je m'y remets. Je ne dis pas que le reste est secondaire: quand je joue, je suis à fond dans ce que je fais.» Depuis C'est beau une ville, publié en 1988 et qui fut un énorme best-seller, il y a eu quatre livres. Son éditeur en annonce un nouveau pour l'automne prochain - s'il est fini...

«J'écris des textes très courts, mais il faut que ça vienne de l'intérieur, que ça bondisse. Parfois j'écris tout au plus une demi-page dans la nuit. Et à la fin, je n'en garde que six lignes. Je ne dis pas ça pour me faire plaindre: j'y trouve mon bonheur, mon salut. Quand j'étais dans la vingtaine, j'étais dans l'héroïne, mais j'arrêtais pour écrire. Je reprenais ensuite.»

La vie de Richard Bohringer n'a pas été un long fleuve tranquille. Il est né en 1942. Son père était un soldat allemand. Sa mère est partie en Allemagne le rejoindre. «Mon père, dit-il, je ne l'ai pas trop vu.» Il a été élevé par sa grand-mère en banlieue ouest de Paris: «Je n'ai pas eu d'enfance. À 16 ans, j'ai commencé ma vie. En banlieue. À Saint-Germain-des-Prés aussi. Mes potes n'avaient pas connu leurs parents non plus et ils se droguaient.»

De l'héroïne, il a réussi à sortir. Alors peut-être trouve-t-il qu'au final, c'est bien d'avoir fait toutes les expériences, y compris celle-là?

«Moi, je ne dis rien. Je dis seulement que ceux qui tombent là-dedans ont deux chances sur deux d'en mourir. Coluche en est sorti? C'était de la came de mondain. Quand on a tout l'argent qu'il faut, on n'a pas besoin d'aller braquer une pharmacie pour avoir sa dose. C'est quand même plus facile quand on a les moyens de se payer un séjour en clinique. Le pauvre gars, comment il va s'en sortir? Il va se faire choper et mourir.»

Son ami le plus proche dans le métier, avec Bernard Giraudeau, a été Philippe Léotard, qui a beaucoup abusé de la vie avant de mourir à 60 ans: «Philippe! Il y a eu pour moi la vie avant Philippe, la vie avec lui, et la vie après lui!»

Des regrets?

Contrairement à Léotard, Bohringer a fini par s'assagir «depuis plusieurs années». Y compris l'alcool. Mais il aura eu le temps, au fil de ses tribulations nocturnes, de se faire une réputation d'acteur «difficile», et aussi de se spécialiser le plus souvent dans les rôles de personnages inquiétants.

«C'est vrai que j'ai été le meilleur des méchants pendant des années. Je crois qu'on ne m'a pas remplacé», dit-il avec satisfaction. Et sa mauvaise humeur sur les tournages? «Oui, oui. Vous comprenez: ils foutent rien, ils ont du temps pour colporter des histoires sur mon compte, ils bouffent comme cinquante. Au bout d'un moment, ça m'énerve! Ce qu'on dit de moi m'importe peu: les chiens aboient, la caravane passe. Et quand je dis les chiens, je suis poli. Je ne m'entends pas souvent avec les réalisateurs...»

Après quoi court Bohringer? Plus de gloire? Un prochain grand rôle au cinéma? On ne sait pas. «Je n'ai jamais été bien, dit-il avec un sourire épanoui tout en sirotant une orange pressée. Mais pourquoi être bien? C'est inutile.» S'il a des regrets dans la vie, c'est de s'être mal comporté, à un moment ou à un autre: «Des gens à qui j'ai fait du chagrin, un ex-taulard que j'ai envoyé promener.»

Mais des regrets professionnels, aucun: tout au plus se souvient-il d'avoir été suprêmement agacé, il y a longtemps, à la sortie de L'Italien des roses, louangé par la critique, mais où un critique l'avait traité de «nouveau James Dean».

«Je n'étais pas un nouveau James Dean! J'étais Richard Bohringer! Je ne supportais pas!» À part ça, rien à signaler: «Tous les films méritent un beau souvenir, dit-il avec une pincée de mauvaise foi. Qu'ils soient bons, ratés ou géniaux. Même les films qui ne me plaisent pas me plaisent parce qu'ils m'emmenaient au bout du monde. J'adore l'étranger, l'exil. C'est ainsi que j'ai découvert le monde. D'ailleurs, je vais vous dire: j'accepte les rôles sans jamais lire le scénario. Et comme le réalisateur croit que je l'ai lu, il ne me raconte pas l'histoire. Pourquoi je tournerais le film si je connais l'histoire?»

On n'est jamais forcé de croire Richard Bohringer sur parole.

Sauf, bien sûr, quand il parle de sa fille Romane. «Romane, dit-il, appartient à une autre vie. Je l'ai élevée seul, comme j'ai pu, avec l'aide de ma grand-mère. Elle n'a pas grandi dans une vraie famille, mais sur la banquette arrière. Elle-même est partie faire la route avec Peter Brook à 17 ans. Notre relation est faite de connivence profonde. Fusionnelle.»

«Vous avez ce qu'il vous faut?» Fringant et rayonnant, Richard Bohringer échange des plaisanteries avec le patron et deux habitués. Il court déjà vers d'autres aventures. Il est pressé par le temps, et pense à la cinquantaine de livres «à lire absolument» empilés sur la table de chevet: Le Clézio, Jim Harrison, un vieux John Fante. «Demain, je vais au Salon du livre de Limoges, dit-il avec gourmandise. Oui, j'aime tout: la mer, la montagne, la ville et la campagne. Tout est à prendre. C'est bien de bouger.»