Certains livres permettent de s'évader de la tourmente du monde. D'autres nous y plongent sans ménagement.

Le dérèglement du monde, le plus récent essai de l'écrivain franco-libanais Amin Maalouf, se classe certainement dans cette dernière catégorie.

L'auteur y aborde la crise économique non pas comme un problème en soi, mais comme le symptôme d'un dérèglement qui se décline sous plusieurs autres formes: géopolitique, écologique, identitaire, intellectuel, éthique et surtout, culturel.

 

Illustrant son propos par moult exemples concrets, allant de la montée du fanatisme dans le monde arabe à la crise climatique en passant par la transformation des Bourses en casinos, Maalouf relie chacune de ces «crises» à un dérèglement plus grand, celui des valeurs.

«On recommence à se demander, écrit-il, si notre espèce n'a pas atteint, en quelque sorte, son seuil d'incompétence morale, si elle va encore de l'avant, si elle ne vient pas d'entamer un mouvement de régression qui menace de remettre en cause ce que tant de générations successives s'étaient employées à bâtir.»

En un mot, l'anéantissement nous guette. Le choix des mots est de Maalouf.

Il en veut pour preuve le déclin de l'Occident et du monde arabo-musulman, deux civilisations qu'il connaît bien pour avoir partagé sa vie entre les deux. Or à son avis, l'une et l'autre ont atteint leurs limites et n'apportent plus au monde que «leurs crispations destructrices».

D'un côté, l'Occident réagit au déclin de ses valeurs (liberté, démocratie, droits de l'homme, etc.) en les détournant de leur objectif, en les transformant en instrument de domination. De l'autre, le monde arabe se radicalise et s'éloigne toujours plus du peu de conscience morale qui lui reste. S'affrontent ainsi deux mondes, l'un arrogant et insensible, l'autre intolérant et obscurantiste.

«Le résultat étant que l'Occident ne cesse de perdre de sa crédibilité morale, et que ses détracteurs n'en ont aucune», tranche Amin Maalouf.

Si la démonstration de l'inexorable déclin du monde est sans faille, le passage aux solutions s'avère toutefois plus ardu dans Le dérèglement du monde. Les propositions de l'auteur, hélas, ne sont pas à la hauteur du constat brutal mais lucide qui est martelé, page après page.

Dans la foulée des Identités meurtrières, publié il y a un peu plus de 10 ans, Maalouf propose que la culture et l'éducation soient au coeur de la riposte, afin que s'élève une culture pluraliste qui intègre la connaissance des autres cultures. Il rêve d'«une vaste action globale, pilotée collectivement, où chacun trouve son compte, où personne ne se sente lésé».

Bref, il propose la paix pour résoudre la guerre...

Il n'y a qu'à voir les difficultés rencontrées récemment par le Québec, dans la foulée de la commission Bouchard-Taylor, pour se convaincre de la simplicité de la solution avancée. Alors que la coexistence des cultures est ici, somme toute, harmonieuse, les débats n'en ont pas moins été acrimonieux. Dans un tel contexte, la «civilisation commune» proposée par l'écrivain apparaît quelque peu chimérique.

«Nous sommes entrés dans le nouveau siècle sans boussole», écrit Maalouf en introduction de son livre. Si ce dernier nous aide à retrouver le nord, il ne réussit toutefois pas à tracer le chemin qui y mène.

Le dérèglement du monde

Amin Maalouf

Grasset, 315 pages, 29,95$

*** 1/2