La mission devait durer six mois et consistait à ouvrir des corridors pour l'acheminement de l'aide humanitaire.

Huit ans et 117 morts plus tard, les troupes canadiennes en Afghanistan sont toujours engagées dans des opérations offensives pour lesquelles elles sont mal préparées et mal équipées, tout en étant très éloignées du rôle traditionnel du Canada sur la scène internationale.

Comment le Canada s'est-il retrouvé si loin de ses objectifs de départ, dans cette mission de l'OTAN - avalisée par l'ONU -, lancée contre le régime des talibans au lendemain des attaques terroristes de septembre 2001?

 

Sam Haroun décrit avec clarté les phases successives de ce dramatique glissement dans Le Canada et la guerre, un petit livre qui, en 150 pages bien documentées, relate l'histoire non pas militaire, mais politique de la participation du Canada à six guerres en l'espace d'un siècle.

De Laurier à Harper, en passant par Borden, King, Pearson, Mulroney et Chrétien, M. Haroun explique comment le Canada a souvent «fait la guerre par affinité et non par nécessité». Par affinité avec l'Empire britannique d'abord, à l'appel duquel le Dominion du Canada a répondu trois fois seulement dans la première moitié du 20e siècle.

En envoyant d'abord, sous Laurier, des volontaires dans la lointaine Afrique du Sud où l'Angleterre faisait face à la révolte de Boers (1899-1902), les ancêtres néerlandais des Afrikaaners modernes. Le «siècle de fer» a vraiment pris son nom 12 ans plus tard, dans cette «drôle de guerre» (1914-1918) dans laquelle Robert Borden a engagé le Canada au-delà des demandes (et des espérances) de Londres, parce qu'il y voyait un moyen pour le pays d'affirmer son autonomie. Sur fond de crise «interne»: on demandait aux Canadiens français d'aller se battre pour l'Angleterre alors que l'enseignement du français était proscrit dans les écoles de l'Ontario...

Nouvelle crise autour de la conscription en 1939, après que le Canada - sous le gouvernement du libéral Mackenzie King - eut déclaré la guerre à l'Allemagne. Par pur attachement à l'Angleterre, ni le territoire ni les intérêts canadiens n'étant en danger à ce moment. Ce qui fera dire à Sam Haroun que le Canada est «l'une des rares colonies dans l'histoire à avoir obtenu son indépendance en combattant aux côtés de l'Empire et non contre lui». L'issue de la Deuxième Guerre mondiale laisse toutefois le monde occidental sous l'aile d'un autre empire qui a sa propre logique guerrière...

Voyez, par ailleurs, l'influence de Lester B. Pearson - et du Canada - dans les affaires mondiales des années 50. Guerre de Corée sous l'égide des Nations unies, qui appuient désormais le droit par la force. Le Canada refusera de s'engager militairement dans la crise du canal de Suez, mais le rôle diplomatique de Pearson lui vaudra le prix Nobel de la paix en 1957.

Sous Brian Mulroney (1990), le Canada - jusque-là champion des «missions de paix» - fournira navires et chasseurs (qui resteront sous commandement canadien) à la campagne de l'ONU dirigée par les Américains, contre Saddam Hussein dans le Golfe. Le «bon voisin», toutefois, ne sera pas de l'aventure de Bush fils en Irak, 12 ans plus tard. Et Stephen Harper, alors chef de l'opposition, s'en prendra à Jean Chrétien pour ne pas «s'être tenu aux côtés de ses principaux alliés (...) au moment où ils en avaient besoin». Devenu premier ministre, jamais le «copiste de la Maison-Blanche» ne fera preuve d'une telle «déloyauté».

Le Canada est en guerre, mais contre qui? Les talibans? Al-Qaeda? le terrorisme? Et pour quoi? Pour refonder un état de droit qui n'a jamais vraiment existé? pour instituer une démocratie libérale dans une société tribale traditionnelle? Pour satisfaire certains généraux qui veulent une «vraie» armée combattante?

Dans Le Canada en guerre, Sam Haroun - qui a aussi signé au Septentrion (2007) L'État n'est pas soluble dan l'eau bénite - Essai sur la laïcité - répond à beaucoup de questions, en plus d'en poser plein d'autres.

Dont celle-ci, centrale, urgente: quel est l'impact de la présence militaire du Canada en Afghanistan? Un pays où, depuis des siècles, l'occupant est poussé à la déroute. Là où, cette semaine, sept ans après avoir été chassés du pouvoir, les talibans ont abattu en pleine rue une militante des droits des femmes et exécuté publiquement un jeune couple d'amoureux qui voulaient se marier sans l'accord de leurs familles.

Le même jour, Karine Blais, de Les Méchins, s'est fait tuer par une bombe, en banlieue de Kandahar. Elle avait 21 ans, elle aimait la vie et voulait aider le monde.

Le Canada et la guerre

Sam Haroun

Septentrion, 150 pages, 15,95$

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