La désinvolture, dont Denis Grozdanovitch se fait le discret héraut littéraire depuis quelques titres (Petit traité de désinvolture en 2002 et Rêveurs et nageurs en 2005 chez José Corti, L'art difficile de ne presque rien faire aujourd'hui chez Denoël), n'est en rien du désabusement, c'est plutôt de l'amusement sans abus, la lenteur dans le regard, la distraction dans la marche, la précision dans l'observation et un rien d'insolence adroite dans la façon de tuer le temps. «Grozda» (pour les intimes), qui fut champion de France junior au tennis en 1963, tient la plume avec l'élégante adresse d'un as de la raquette. Son art: «placer la balle au plus près de la ligne, trouver l'expression la plus proche de votre sentiment intime».

Et ses sentiments intimes (ses services) sont loin de la nausée sartrienne, aucun dégoût dans sa manière de vivre et d'écrire, ce serait plutôt la goulée que la nausée son affaire, de toutes petites goulées d'air respirées dans une rue venteuse de New York, humées dans un cimetière anglais de Corfou, absorbées lors d'une marche d'après déjeuner dans un jour de demi-pluie l'hiver avec une fillette qui sautille, et maintenant, avec ce nouveau titre qui semble prétendre au traité, c'est le souvenir sans surplus d'émotion des expéditions de pêche matinales avec son père, les croissants accrochés, le litre de cidre dans l'eau, ou alors celui de sa mère, mourante, qui lui glisse à l'oreille de remettre la clé du garage à sa place...

Grozdanovitch, qui a une branche anglo-saxonne et normande dans sa famille, est passé du tennis à la littérature sans s'essayer au roman, trop engageant, trop grands travaux, trop trop... Il avait, depuis ses années actives sur les courts, l'habitude (cachée) de noircir un carnet de choses et d'autres, lors de pauses de jeu à Roland-Garros, car il craignait qu'on le prenne pour un intellectuel. Il notait des petits riens, des sottises, des éclairs, des pensées, autrement dit du chocolat et des fleurs, quoi, des plaisirs indémodables et intimes...

De la raquette à la plume, il a gardé le style, l'oeil sur la ligne, son projet littéraire étant relié, comme il l'écrit, «au projet quasi obsessionnel de précision dans le placement de mes balles dans les jeux de raquette». Il est rêveur autant que nageur, littérateur autant que raquetteur. Et ses amis sont Montaigne, Léautaud, Tchekhov, Vialatte, que du bon monde, que des promeneurs et piétons... Et Simon Leys, en préface, écrit: «Le vrai voyageur voyage pour la joie du chemin.»

Avec des écrivains comme eux, les délicats, propres ou «guenillous», le meilleur se produit souvent. Dans leurs déambulations de scribouillards, à cheval, à pied, en savates, en baskets, sur gazon ou terre battue, éclosent sous leurs semelles des sentiments écrits dont la floraison donne des échantillons d'âme qu'il nous est loisible d'admirer, lentement, ne faisant presque rien d'autre... que lire.

L'art difficile de ne presque rien faire

Denis Grozdanovitch Denoël, 333 pages, 41,50$ ****