La vie n'en finit pas d'être ailleurs. Le paradis enfin trouvé était-il un leurre? Peter Pan y retourne, infidèle un peu repenti, lourd de sa propre histoire. Probablement veut-il comprendre ce qui s'est passé là-bas, aux Îles-de-la-Madeleine, au temps des jeunes amours, avant la naissance de Pout qui sera l'hoir de ses hier - mais un enfant peut-il être père? Il veut traquer ce temps qui était hors du temps et en découdre une fois pour toutes avec les mirages de son éden. Pierre Gobeil, qui a tracé il y a plus de 15 ans de splendides Dessins et cartes du territoire, retrouve sa petite musique avec une pudeur et une profondeur qu'on aurait crues taries dans les récits plus récents de La cloche de verre. Pas de compte à régler cette fois, que le lancinant besoin de rendre hommage à la beauté.

Les Îles ont été une destination saisonnière à la mode. Peut-être le sont-elles encore, malgré les laideurs qu'une culture fragile a laissé s'y répandre, là comme ailleurs. Peter Pan y a passé plusieurs étés. La mer, le ciel, les plages, le folklore et ses parodies, le vrai et le faux emmêlés, tout cela vibre et chante. (Et l'hiver? C'est autre chose et je me rappelle, plus que la magouille politicienne qui m'avait emmené, jeune reporter, en ce pays austère, le DC-4 qui atterrit sur une dune en planche à laver -ancêtre de la lessiveuse bénie par le Vatican-, les arbres rares, une vache solitaire, immobile, hiératique au sommet d'une butte, la méfiance des îliens et, plus tard, la promesse d'un fils de premier ministre de me faire jeter au bout du quai si jamais je revenais en ces lieux. Ô nostalgie!)

Voici donc Peter Pan, écrivain devenu très riche - rêver ne coûte rien, qui revoit les paysages et les gens qui l'ont habité, qui avec eux ou contre eux tisse la toile qui va le piéger: le réel et la fiction se frôlent, fusionnent, se séparent. Sait-on «ce qu'on peut faire contre l'histoire qu'on s'est inventée» ? Non, on ne sait pas. Pierre Gobeil cultive un flou artistique que ne contredit pas une écriture limpide, travaillée juste ce qu'il faut pour ne pas déraper dans la prouesse stylistique. Il induit ainsi dans sa prose une densité qui paraît pallier les ratés de la mémoire. On devine plus qu'on le voit ce qui, dans les angles morts, menace de miner la lucidité inquiète qui est le creuset de l'oeuvre. L'écrivain, qui semble n'inviter que lui-même à la célébration de l'archipel, réussit exactement le contraire. On est happé par le jardin secret, à peine entrouvert, qu'a aimé Peter Pan.

LE JARDIN DE PETER PAN

Pierre Gobeil

Triptyque, 104 pages, 17$

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