Sous les auspices de Jim Morrison, John Coltrane, Clint Eastwood et plusieurs autres grands noms du jazz et du film noir, Andrée A. Michaud construit son dernier roman, Lazy Bird, en un vaste chassé-croisé de références musicales et cinématographiques.

De vieux airs de jazz bercent la petite communauté du Vermont, où les cadavres de femmes se succèdent depuis l'arrivée du Québécois Bob Richard. Engagé à WZCZ, «la seule station de radio rentable de Solitary Mountain», pour animer une émission de nuit, l'albinos reçoit des appels d'une auditrice qui lui chuchote «Play Misty for Me», comme dans le film de Clint Eastwood, auquel le roman fait écho.

Chaque épisode rappelle au héros une scène de film ou une pièce musicale. «C'est un défi que je me suis posé. Je ne suis pas une experte en musique, mais j'avais envie de la faire entrer dans le roman pour donner une coloration qui influerait sur son rythme», explique l'écrivaine. Maniaque de cinéma, Andrée A. Michaud a transposé sa passion du septième art à celle d'un personnage féru de musique. «C'est un homme qui a vécu sa vie dans la musique et tire une part de son identité de l'univers musical, comme moi, qui vais souvent chercher mes références dans un film, spontanément», explique l'auteure, qui truffe ses romans de références culturelles dont l'homme occidental est envahi et qui déterminent un peu sa façon d'être, croit-elle.

Le polar à sa main

Bien que ses romans aient souvent flirté avec le polar - entre autres Le ravissement et Mirror Lake -, Lazy Bird marque le vrai baptême d'Andrée A. Michaud pour le genre en bonne en due forme. «Dans plusieurs de mes romans, il y avait des éléments de polar, mais là, je voulais qu'il y ait une vraie enquête policière.» L'écrivaine aguerrie à l'humour décapant reste cependant fidèle à son univers, malgré son immersion dans le nouveau genre. «Je ne me suis pas soumise aux règles du polar; j'ai soumis ses lois à mon style et à mon univers», avoue-t-elle. On retrouve donc son ton caustique et ses préoccupations sur l'avenir incertain de la planète, des animaux et de la nature.

Campé dans un village américain près du Québec, Lazy Bird s'inscrit dans la lignée de Mirror Lake, dans ce que l'auteure appelle son «exploration du proche territoire états-unien». «On est à la fois en territoire étranger et familier. Sur le plan culturel, il y a des différences, mais on est tous baignés dans la culture américaine, qu'on le veuille ou non.» Comme dans Mirror Lake, Bob Richard possède un double sous la forme d'un chevreuil albinos. Sorte d'ange gardien, l'animal renvoie au stigmate visible du personnage isolé et nocturne. «Je voulais créer un personnage marqué par sa différence, un être marginal qui a de la difficulté à créer des liens avec les autres. À Solitary Mountain, il va pourtant nouer des liens très étroits avec quelques personnes, le temps d'un été.»

Bob Richard noue une amitié particulière avec la jeune Lazy Bird, surnom inspiré de la chanson de Coltrane. Bob veut libérer cet oiseau blessé des griffes de la société et le protéger des filets de l'assassin qui rôde. Solitaire et déraciné, Bob Richard est aussi un être hypersensible qui a perdu ses parents. Ils se sont suicidés lorsqu'il avait 20 ans. «Il est ouvert au malheur des autres et absorbe leur souffrance, peut-être parce qu'il a lui-même souffert», explique l'auteure. L'adolescente et l'albinos forment un couple touchant, sorte de bastion contre un monde hostile, traqué par les fous et la mort, présence diffuse qui hante le roman, notamment par la symbolique de l'oiseau. «J'aime beaucoup les oiseaux, mais le principal oiseau du roman, c'est l'oiseau de malheur qui plane et annonce les malheurs à venir.»

Andrée A. Michaud a mis la musique au centre de ce roman noir baigné des vieux airs de blues et de jazz, la complainte d'une Amérique langoureuse et inquiète. «C'est la musique qui sauve Bob. Si elle disparaît, il disparaît aussi.»

Lazy Bird

Andrée A. Michaud

Québec Amérique, 418 pages, 26,95$

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