Écoutez la parole d'Assani, guerrier de l'est du Congo, survivant de plusieurs campagnes: «Quand je serai vieux, je pourrai me reposer. Mais un homme comme moi ne vit pas longtemps.» Assani est au téléphone avec Claudine, elle en sécurité en Belgique, tandis que lui ne cesse de guerroyer, par habitude, on dirait, car ses guerres civiles ont depuis longtemps perdu toute raison.

Et lorsque Claudine lui demandera pourquoi tant d'hommes désirent sa mort, il répond avec un rire amer. «Parce que je suis africain, deuxièmement congolais, troisièmement tutsi et en plus, munyamulenge!» Dans le destin d'Assani - qui survivra tout le long de ce récit, par quelque miracle - nous voyons le sort tragique de la région des Grands Lacs d'Afrique centrale, qui comprend aussi le Rwanda. Tant de pays fragmentés, laissés par les anciennes puissances coloniales, dont les frontières n'ont rien à voir avec leurs populations. D'où les guerres sans fin qui ne résoudront rien.

L'écrivaine néerlandaise d'origine belge Lieve Joris est tombée amoureuse du Congo, et cela, grâce à un grand-oncle missionnaire. Le grand-oncle revenait de temps à autre du Congo avec des contes des Tropiques qui ont enflammé l'imagination de la jeune Lieve. Lorsqu'elle s'y est rendue en 1985, raconte-t-elle, «j'ai été tout à fait étonnée. Un drôle de sentiment aussi: ces gens ont connu un de mes ancêtres». Et puisque la Belgique avait marqué le Congo par un regrettable passage colonial, Lieve Joris a pu ressentir la culpabilité et la responsabilité de l'ex-colonisateur.

Au Congo, elle a aussi découvert des atmosphères dignes de John Le Carré. Tout le monde complote les uns contre les autres, la roue de la fortune tourne, les amis d'Assani sont le lendemain ses pires ennemis. Une certaine confusion habite ce livre à certains moments, lorsque les lecteurs ne suivent plus qui est l'allié de qui, et quels groupes font la guerre contre leurs voisins. Cette confusion, je crois, est volontaire; elle reflète simplement la réalité de la région.

Entretemps, les téléphones cellulaires sonnent au beau milieu de la nuit, «à l'heure des rebelles», Assani tente de protéger sa famille, il doit frapper plus rapidement que son adversaire, même si parfois il se trompe de cible. «Ton ami est ton ennemi, la base de la trahison est la confiance», beugle une chanson populaire, et on sait que dans cette région, comme ailleurs au monde, la culture populaire servait les dictatures. Dans L'heure des rebelles, ce n'est pas le sang qui coule qui nous tient en haleine, mais plutôt cette ambiance de tension perpétuelle. Assani est un personnage de fiction, mi-pion, mi-héros, mais il est aussi réel que les grands titres du journal de demain.

L'heure des rebelles

Lieve Joris Traduit du néerlandais par Marie Hooghe

Actes Sud, 304 pages, 36,95$

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